On connaissait déjà Anurag Kashyap pour son dytique Gangs of Wasseypur; freque criminelle de près de cinq heures, véritable film coup de poing qui nous changeait des habituelles rêveries de Bollywood et nous donnait à voir un nouveau cinéma indien, puissant et politique.
Avec Ugly, le réalisateur reste dans le polar, dans le film noir plus exactement avec ce portrait sans concession d’une Inde à la dérive.
Rahul et Shalini, les parents de Kali, 10 ans, sont divorcés. La fillette vit désormais avec sa mère et son beau-père, Shoumik, responsable d’une brigade de la police de Bombai. Un samedi, alors que Kali passe la journée avec son père Rahul, elle disparaît. S’ensuit une course effrénée pour retrouver la gamine, qui implique son père, mais également le nouveau compagnon de sa mère, celle-ci, ses parents, des amis, une police incompétente et boursouflée d’arrogance… Tant de bonnes volontés, qui ne feront que compliquer les choses : chacun en profitant en effet pour y trouver son propre profit, et régler ses comptes. Et pendant ce temps, Kali demeure introuvable.
Le moins que l’on puisse dire en voyant le film c’est qu’Anurag Kashyap n’a rien perdu de sa superbe depuis son dernier film. À peine 15 minutes se sont écoulées et on compte déjà une dispute conjugale, un trafic d’iPhones, un passage à tabac, l’enlèvement d’une petite fille et un mort (salement) écrasé par une voiture. Le tout sur fond de métal hurlant. Welcome to India! Chef de file d’un cinéma indépendant qui émerge depuis quelque temps, le cinéaste a l’ambition de montrer son pays tel qu’il est. Moche, en l’occurrence. Au fil d’une intrigue-puzzle, Ugly le bien nommé lève le voile sur la laideur morale d’une société dominée par le vice et le non-dit. Les forces de l’ordre ne sont pas épargnés, loin de là: lors de la scène de la déposition de Rahul, les flics semblent plus intéressés à l’utilisation de téléphones portables qu’à l’enlèvement d’une jeune fille proprement dit. Ils jouent également beaucoup sur l’abus de leur autorité tout au long du film.
La grande force du réalisateur est de parvenir en quelques plans à peine définir un personnage pour que nous comprenions de qui il s’agit et déduire son lien éventuel avec le rapt. C’est le cas de Shoumik, le beau-père de Kali responsable de la brigade de police de Bombai est représenté comme un véritable tyran aussi bien dans son travail qu’au sein de la cellule familiale d’ailleurs. Au fil des minutes nous découvrirons que tous les acteurs du récit sont étroitement liés d’une façon ou d’une autre que ce soit par des antécédents, liens de parenté ou simples fréquentations. La trame éclatée va se clarifier très ingénieusement grâce à une mise en scène remarquable faite de va-et-vient entre passé et présent.
Rancoeurs, trahisons, égoïsme… rien n’est clair dans cette enquête et Kali, la petite disparue, est sans nulle doute la seule personne non encore corrompue.Sa tragique disparition en est même parfois effacée par les intérêts personnels de chacun, signe d’une déliquescence morale de l’Inde moderne, qui n’est pas loin du regard que portait Jia Zhangke dans A Touch of Sin.
Ugly, thriller choc et œuvre noire au titre plus qu’opportun. La relève du cinéma indien assurément.
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