Englebert des collines

Publié le 03 juin 2014 par Lecteur34000

« Englebert des collines »

HATZFELD Jean

(Gallimard)

Jean Hatzfeld n’en a pas fini avec le Rwanda. Donc avec la Tragédie. Si présente dans la plupart des livres écrits par cet ancien journaliste de Libération. Présente encore dans ce récit où le journaliste/enquêteur laisse très vite la parole à Englebert, un Tutsi qu’il avait déjà rencontré une quinzaine d’années auparavant. Englebert se confie à celui qui est devenu son ami. « Quand on se sent un peu accablé par l’histoire des tueries qui hantent la région, Englebert est de ceux dont on apprécie l’humeur lunatique, les colères, la roublardise, les fulgurances joyeuses ou désespérées. »

Englebert n’a pas eu la vie qui au cours de son enfance parut  pouvoir s’ouvrir à lui. Excellent élève : « J’écrivais très vite, zéro faute, zéro tache. Et premier en récitation et en calcul, évidemment. » Mais Englebert est un Tutsi. « En 1963… nous étions au nombre de huit à dix Tutsis éparpillés dans quarante classes, mais c’était encore trop aux yeux de nos condisciples. J’ai été frappé, mais pas coupé… » 1963 ! La Tragédie s’écrit déjà en ces temps reculés. Ces temps que raconte Englebert. L’enfant doué, mais l’enfant différent. Donc rejeté. Rejeté de l’école puis de l’administration qui l’avait accueilli. Jusqu’à ce que survienne le génocide. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un survivant, celui qui reviendra sur les terres qui furent celles de ses parents, celui dont le verbe enchante d’autres survivants.

« Ma mémoire se maintient fidèle. Je n’oublie presque rien. Est-ce que je pourrais citer les noms de mes professeurs dans le cycle primaire et oublier les cris des femmes qu’ils éventraient à la lame dans les buissons pour leur arracher les bébés ? Je ne sais pas si les années gomment les souvenirs de certains rescapés, mais moi, je peux te raconter les tueries à Nyiramatuntu, étape par étape. Est-ce que ma mémoire trie les souvenirs ? Comment trier ? Ma mémoire ne trie rien sans que je ne lui demande et je ne lui demande rien. Ca ne signifie pas qu’elle me le rappelle le génocide tout le temps. Je fais aussi d’autres rêves pendant la nuit ; dans la journée je me préoccupe d’autre chose. Mais je ne cède au temps aucun détail, en tout cas pas tellement. »

Le fréquentation d’Englebert offre un des ces beaux moments de vraie humanité auxquels le Lecteur vous suggère de succomber à votre tour.

A L'AFFICHE - Jean Hatzfeld, de retour au Rwanda aux côtés d'Englebert