Les BFI européennes sont prises en étau entre crises conjoncturelles et réformes structurelles, qu’il s’agisse d’affermissements réglementaires ou de projets de séparation d’activités[1].
Afin de faire face, elles se sont imposées une importante cure de deleveraging[2] ainsi que d’importants efforts sur les coĂťts. Pour maintenir leur compétitivité, celles-ci sont désormais contraintes de trouver de nouveaux relais de croissance. Fusions, acquisitions et coopération entre branches du secteur financier constituent un axe de réflexion historique fort.
Les banques universelles françaises ne s’y sont pas trompées en s’orientant vers la bancassurance. Mais après une période faste, les bancassureurs font aujourd’hui face à deux phénomènes. Une collecte difficile en assurance vie[3] d’une part. L’apparition de nouveaux canaux de distribution d’assurance d’autre part, venant concurrencer la bancassurance sur son propre terrain via une réduction des coĂťts de distribution (vente en ligne, dans les grandes surfaces, etc.). Ceci pose la question, non pas de la légitimité du modèle de la bancassurance, mais des stratégies à développer par ses acteurs :
- S’émanciper du modèle intégré, où le bancassureur distribue uniquement son propre produit, afin d’élargir l’offre.
- Rechercher dans l’assurance dommage un relais de croissance à l’assurance-vie, malgré sa complexité et son coĂťt en capital.
- Se départir du produit standard de masse et diversifier l’offre au moyen de produits plus sophistiqués auprès d’une clientèle mieux segmentée et aux marges unitaires plus élevées.
Dans ce contexte, une banque universelle pourrait envisager l’élargissement de ses activités de bancassurance à sa BFI, qui viendrait distribuer des produits d’assurance dommage à sa clientèle. Compte tenu du principe de mutualisation du risque, on conçoit aisément que l’opération soit intéressante pour des métiers à grand volume et forte homogénéité d’actifs à assurer. De plus, l’obstacle du coĂťt d’entrée[4] pour les équipes BFI chargées de la distribution parait plus faible sur des produits relatifs à des métiers peu spécialisés. On pensera donc au Real Estate voire au Transport Finance plutôt qu’au Project Finance par exemple.
Une partie de l’activité des BFI repose sur des frais et des commissions requérant peu de capital et présentant des RAROC[5] élevés. Distribuer des produits d’assurance constituerait un axe de diversification de ces revenus. Cet élargissement de l’offre présente également l’avantage de maximiser le cross-selling, en s’appuyant sur la fonction coverage. La BFI peut en effet capitaliser sur la relation forte qu’elle construit avec ses clients afin de capter le besoin en assurance :
- La BFI bénéficie d’une avance de phase sur l’assureur, la recherche de couverture d’assurance intervenant après la phase de financement.
- La BFI peut mettre en relation ses experts assurance avec les différents interlocuteurs clients auxquels elle a accès dans une optique de prospection et d’analyse des besoins.
Afin que ces deux points soient réellement levier, la gamme de produits d’assurance distribuée doit être suffisamment large. On peut penser à l’assurance des risques opérationnels et industriels majeurs, des risques émergents, à l’assurance de flottes auto, à la protection contre la perte d’homme clé, etc… Enfin, le cross-selling n’étant valable que lorsque le même interlocuteur client est en charge des besoins en financement et des besoins en assurance, ceci s’adresse davantage à des entreprises de taille moyenne. Les plus gros clients présentent en effet souvent une fonction risque en charge des problématiques d’assurance et aux besoins très spécifiques.
Pour aller plus loin, imaginons que la BFI commercialise les produits d’assurance d’une filiale, pour des raisons d’économies d’échelle. A supposer que le nombre de contrats souscrits soit suffisant pour que la mutualisation du risque soit effective, l’effet de diversification procuré par la combinaison des deux activités aux natures différentes pourrait réduire la volatilité du groupe[6]. Sur le papier l’idée a de quoi séduire, a fortiori en Europe où un conglomérat financier peut être constitué de différentes entités légales coopérant commercialement[7]. Néanmoins, l’évolution réglementaire est porteuse d’obstacles à une intégration plus aboutie. Premièrement, la directive Solvabilité II tend à limiter la fongibilité[8] du capital, ce qui rendra caduque toute couverture réciproque[9]. Deuxièmement, suite au rapport Liikanen les projets de loi concernant la séparation des activités bancaires laissent à penser que le cross funding entre filiales sera à terme impossible. En particulier, les actifs détenus par la BFI ne pourront pas être utilisés comme réserves ou fonds propres réglementaires par la filiale d’assurance.
La rentabilité sur fonds propres de la profession ne cesse de chuter, en particulier pour les banques européennes. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir taillé dans les charges puisque les BFI ont poursuivi la logique de licenciements et de diminution du salaire moyen (-2% sur 2013) engagée suite à la crise. Ce n’est pas non plus faute d’avoir effectué des coupes drastiques dans les bilans. En effet, la hausse des frais juridiques a été telle qu’elle a contrebalancé les économies réalisées, pourtant très importantes. Comment s’en sortir ? Il reste bien évidemment le levier des revenus. Pour l’actionner, les banques devront adapter leurs modèles et identifier de nouveaux relais de croissance. Dans ce contexte, même si sa réalisation opérationnelle implique des chantiers couteux, le rapprochement entre BFI et activités d’assurance est une piste à investiguer. Cette diversification d’activités s’inscrit dans la tendance au développement de services en BFI ainsi qu’à la construction d’une vision globale du client.
[1] : Dodd-Frank Act, rapport Liikanen, rapport Vickers, etc.
[2] : Il s’agit de la réduction du recours à l’endettement, via une réduction du bilan et des besoins en liquidités.
[3] : La collecte nette en assurance vie a été négative en 2012, ce qui s’explique principalement par la mauvaise conjoncture économique, les inquiétudes sur l’avenir de la zone euro ainsi que par le doublement du plafond du livret A.
[4] : En termes de conduite du changement, formation des équipes, etc.
[5] : Risk Adjusted Return on Capital.
[6] : Il est à noter que les nouveaux standards prudentiels introduits par Solvabilité II facilitent la prise en compte des effets de diversification au sein des groupes.
[7] : C’est le cas en France où les banques ne sont pas autorisées à assurer des risques ni les compagnies d’assurance à émettre des prêts. En revanche, le régulateur autorise des banques à vendre des produits d’assurance émis par une filiale.
[8] : La fongibilité signifie qu’un élément de fonds propres peut absorber tout type de perte au sein du groupe alors que la transférabilité est la capacité réelle d’une entité de transférer des biens et/ou des passifs à une autre entité au sein du groupe. Dans le cadre de Solvabilité II, les fonds propres doivent être transférables mais non nécessairement fongibles.
[9] : D’un point de vue bilanciel la maturité des actifs et des passifs des BFI est bien plus courte que chez les assureurs. Ces derniers présentent des passifs principalement longs termes ce qui les expose au risque de taux sur le long terme et leur impose de se protéger en équilibrant actif et passif. Les BFI sont quant à elles confrontées au risque de taux à court terme et présentent souvent un gap. BFI et filiale d’assurance pourraient ainsi se couvrir partiellement l’une et l’autre, par exemple sur le risque de taux.
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