Bien malheureusement, tout se déroule comme prévu : annoncée en fanfare par un Président qui cherche désespérément un point d’accroche dans sa dérive politique de plus en plus violente, la réforme territoriale prend forme. Et comme prévu, c’est la forme d’une vessie vide : à peine ébauchée, elle engendre déjà le bruit mou d’un dégonflement ridicule.
Bref, pour une réforme qui devait sauver le quinquennat, la montagne a accouché de la proverbiale souris, et tout indique que, dans un faux mouvement, elle l’a écrasée. Parce que pour le moment, en termes d’économie, ce bricolage précipité ressemble à l’ajout d’une nouvelle couche subtile, la super-région, dont on voit mal quelle forme physique elle va pouvoir prendre tant le paysage français est déjà largement encombré de structures locales dispendieuses et de corps administratifs pléthoriques langoureusement étalés sur le territoire aux frais du contribuable.
Bien sûr, avec un peu de chance et de courage, cette super-région signera la fin de la couche inférieure (régionale), mais comme je l’ai mentionné dans un précédent article, cela ne se traduira vraisemblablement par aucune perte de poids des collectivités territoriales correspondantes : non seulement, on voit mal des milliers de postes doublonnant disparaître ainsi et venir gonfler les chiffres du chômage, déjà monstrueux, mais en plus, pendant que la super-région va s’organiser, d’inévitables frictions vont avoir lieu (Où installer les bureaux ? Où déplacer les équipes ?), frictions qui vont à l’évidence coûter un pognon certain. Rassurez-vous, ce sont toujours les mêmes qui vont payer : vous. Et tout ceci nécessitera un cran qu’on a du mal à déceler, même après un examen minutieux, dans les gesticulations hollandistes.
Sur le plan politique, j’attends de voir les batailles picrocholines qui vont s’engager lors du débat parlementaire qui doit s’ouvrir à la suite de la présentation de cette nouvelle carte. Certes, en balançant ainsi cette réforme au moment où l’UMP est au plus mal, Hollande espère raisonnablement mettre l’opposition dans l’embarras, qui devra choisir entre un antagonisme qui passera facilement pour stérile et des dissensions internes pour osciller entre l’abstention agacée et l’acceptation gênée. De ce point de vue, c’est à peu près gagné. On pourra cependant regretter que le « président de tous les Français » (lesquels ?) soit ainsi versé dans les petites bisbilles politiques plutôt que dans l’art délicat de la direction de tout un pays. Les chroniques y gagneront ce que le pays y perdra en temps et en moyens. Comme d’habitude.
D’autre part, il semble évident qu’il va y avoir pas mal de remous lorsqu’on va devoir diminuer effectivement le nombre d’élus histoire de coller à la structure administrative nouvellement mise en place. Je vois mal comment le brave Hollande va pouvoir ménager sa majorité alors que, quoi qu’il arrive, un paquet d’élus qui y grenouille actuellement va se retrouver sur la sellette, au moins à moyen terme. Inutile de dire que la fragile majorité parlementaire dont il dispose actuellement risque bel et bien de s’évaporer à mesure que les choix déchirants vont s’opérer. Et en terme de finances, je ne prends pas un gros risque en pariant sur le fait que le nombre d’élus ne diminuera pas tant que ça, attendra la fin des mandats courants, et se fera quasiment à budgets constants. Là encore, aucune économie à attendre de ce côté là.
Quant à la suppression des départements, Hollande a finement choisi la solution de facilité qui consiste à reporter tout ceci aux calendes grecques, autour de 2020, date à laquelle tout peut être arrivé, le meilleur comme le pire. Et avec Hollande aux manettes, on imagine mal le meilleur, qui arriverait plus sûrement sur un malentendu ou un gros coup de chance que sur une réelle décision courageuse du chef de l’exécutif.
Cette suppression étant assortie, de surcroît, d’une révision constitutionnelle qui semble impossible à obtenir tant sa majorité est légère, il s’assure tranquillement que les départements sont là pour encore un bon moment (et les économies afférentes disparaissent comme une promesse de plus à mettre au débit du Roi Solex). En revanche et comme prévu, la petite manipulation politique qui visait à repousser gentiment les prochaines élections régionales en 2015 a parfaitement fonctionné puisqu’il faudra attendre l’automne de cette année pour qu’elles se déroulent. D’ici là, le chef de l’État espère probablement, afin de limiter la casse politique, avoir retrouvé une croissance, ou, alternativement, avoir su pipeauter les chiffres du chômage de façon plus crédible que jusqu’à présent.
Au bilan, je maintiens ce que je disais il y a deux semaines : la réforme territoriale va s’avérer extrêmement pénible et compliquée à mettre en place et se traduira concrètement par du vent politique, des dépenses supplémentaires et aucune espèce d’amélioration sensible du mille-feuille administratif. Ce qui devait aller vite s’étalera au moins jusqu’en 2020 (six longues années), et pour un observateur lambda avec deux onces d’honnêteté cela veut essentiellement dire que, pendant six ans, les factures ne diminueront pas, que du contraire même.
Pour une France qui avait un besoin urgent d’économies et de simplification administrative, le bilan est plus que mitigé : les anciennes régions n’ont pas disparu, les départements sont encore là pour un moment dans le meilleur des cas, les économies annoncées peinent à se concrétiser. Seules sont bien visibles les petites manœuvres politiciennes de bas étage.
La réforme, la vraie, attendra encore.
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