D'où vient qu'il y a tant de choses que nul ne voit et qui sont pourtant sans doute parfaitement visibles : mais le chemin si simple qui pourrait y conduire nos regards n'a pas encore été tracé à nos esprits routiniers.
Carole CHOLLET-BUISSON
12 décembre 2013
Aux temps heureux de mes années professorales, il me fut maintes et maintes fois donné de bousculer l'ordre des sujets d'un cours, - que je ne considérais de toute manière pas comme immuable -, non parce que ce programme "idéal" avait été pensé saucissonné par je ne sais quel ministre, là-bas, dans la froideur de son bureau bruxellois, tellement éloigné du milieu scolaire que pourtant il représentait et qui n'avait de cesse que son nom apparût et restât gravé dans les annales des décisions de son éphémère Cabinet, mais parce que, seul gouverneur de mon îlot de sacrés Étudiants, j'estimais qu'ainsi, - et quelles que fussent les positions de tout agent du pouvoir, mon Directeur, un inspecteur, voire ce représentant du gouvernement qui, inévitablement moins de quatre ans plus tard, serait contraint de céder son portefeuille au suivant qui, pour les mêmes raisons, déciderait lui aussi de mettre au point un "nouveau" programme portant son nom pour la postérité -, seraient mieux assimilés les rapports de causalité que je souhaitais faire comprendre entre différents événements historiques.
Mutatis mutandis, dans le même état d'esprit, il me siérait ce matin, amis visiteurs, d'emprunter avec vous ce semblable chemin de traverse pour répondre à un commentaire, une réflexion, une question d'un fidèle lecteur ; pour, m'autorisant de ses propres termes, "faire un peu le ménage dans les idées reçues".
La logique eût voulu qu'après le mimusops que nous avons appris à mieux connaître les 13, 20 et 27 mai derniers, j'envisage aujourd'hui d'évoquer l'un des autres fruits présents sur l'étagère que nous détaillons depuis le 1er avril, accrochée côté Seine, dans la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Une certaine logique, en fait : celle qui eût consisté à poursuivre le sujet entamé, celle qui eût voulu qu'après la vitrine 6, nous dirigions ensuite inévitablement nos pas vers les septième, huitième et neuvième.
Vous et moi, nous n'en ferons rien ! Et bien que ce ne sera pas qu'un excursus réservé à ce seul mardi, je vous emmène tout de go vers le dernier présentoir vitré, vers celui auquel les Conservateurs auraient dû - selon ma logique personnelle - attribuer le numéro 7, plutôt que bizarrement lui préférer le 9.
En effet, après la présente vitrine 6, avec la 7 et la 8, nous aborderons la viticulture, avant de terminer nos pérégrinations dans cette salle par le socle-vitré n° 9 qui expose, au sein de différentes coupelles, bon nombre de "produits naturels",
rencontrés déjà sur "notre" petite étagère.
Convenez que ce raisonnement des concepteurs des lieux d'intercaler un autre vaste sujet au milieu de celui qui retient actuellement notre attention, d'imposer dans le parcours qu'ils prévoient un tout autre centre d'intérêt avant de nous suggérer de revenir au précédent, m'apparaisse pour le moins étrange ...
C'est la raison pour laquelle, sans scrupule aucun, je vous invite maintenant à m'accompagner jusqu'au dernier meuble de cette salle, proche de la sortie donnant vers la suivante,
uniquement pour une mise au point qui répondra, je l'escompte, au questionnement de François, - puisque c'est bien de toi, mon ami, qu'il s'agit ici -, mais aussi à celui de l'un ou l'autre membre du Forum que tu administres et qu'il m'est bonheur de fréquenter.
Le 30 novembre 2010, dans une intervention dédiée au Grand Chat d'Héliopolis, j'avais déclaré que la scène de la décollation du serpent Apopis par la patte armée du félidé, souvent représentée sur papyri, mais aussi dans certaines tombes, eut lieu dans le bois sacré de la ville d'Ounou, butte héliopolitaine, sorte de tertre artificiel recouvrant vraisemblablement une crypte détenant les effigies des dieux de l'Ennéade au centre duquel se dressait le balanite (Balanites aegyptiaca), le légendaire arbre-iched, que la littérature égyptologique confond encore trop souvent avec le perséa.
(Chat d'Héliopolis tranchant la tête du serpent Apopis, l'arbre-iched en arrière-plan.
Papyrus d'Ani, planche X)
J'avais également indiqué ce jour-là que, selon certains textes, en se fendant, l'arbre-ichedpermettait au soleil de sortir chaque matin.
Arguant de la persistance de cette vieille confusion perséa/arbre-iched, j'aimerais maintenant introduire une mise au point en prenant à témoins les botanistes contemporains qui sont enfin parvenus à s'entendre et, partant, à convaincre les égyptologues.
Car c'est précisément en rapport avec la renaissance quotidienne du soleil entre les deux arbres de l'horizon que réside la méprise longtemps entretenue par ces derniers : le Ficus sycomorus, mais aussi le Mimusops laurifolia, mais aussi le Balanites aegyptiaca ressortissent tous trois au domaine de la même symbolique solaire. Encore fallut-il que les scientifiques missent de l'ordre dans leur classification de végétaux de façon à affirmer, haut et fort, que :
* le chouab des Égyptiens correspond bien au perséa des auteurs grecs et romains, et au mimusops dans la terminologie contemporaine ;
* l'iched des Égyptiens correspond bien au balanite actuel.
Penchons-nous à présent, voulez-vous, vers le socle-vitré n° 9, aux fins de visualiser les fruits comestibles du perséa/mimusops,
puis de les comparer avec ceux du balanite, communément appelés "dattes du désert",
sur lesquels, selon le mythe, je le précisai également en novembre 2010, le dieu, Thot, Scribe suprême, inscrivait le nom de couronnement de chaque souverain accédant au trône d'Horus
Avant de vous quitter, et tout en espérant avoir aujourd'hui pleinement répondu à l'attente de certains d'entre vous, j'aimerais simplement ajouter - subtile transition permettant de nous représenter mardi prochain devant l'étagère de la vitrine 6, objet de notre attention depuis quelques mois -,
que dans un autre rituel, c'était sur des feuilles de palmiers qu'étaient indiqués, non plus les noms royaux, mais ceux des dieux ...
(Un merci tout particulier à Madame Florence Doyen, d'Egyptologica, de m'avoir autorisé à disposer ici d'un cliché de ce remarquable document qu'est cette feuillet du Papyrus d'Ani, ainsi qu'à deux de mes lecteurs parisiens, - SAS et V. -, pour leur précieuse collaboration au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre)
BIBLIOGRAPHIE
BAUM Nathalie
Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, p. 273.
GERMER Renate
Persea, dans Lexikon der Ägyptologie (LÄ), Volume IV, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1982, colonnes 492-3. (Librement téléchargeable sur ce site.)
SCHWEINFURTH Georg
De la flore pharaonique, dans Bulletin de l'Institut égyptien, deuxième série, volume 3, Le Caire, Imprimerie nationale, 1882-83, pp. 66-8. (Librement téléchargeable sur ce site.)