De plus en plus de Vénitiens ne veulent plus voir les paquebots de croisières passer dans le canal de la Giudecca. Les 7 et 8 juin, le comité No Grandi Navi organise une manifestation piazzale Roma.
Un paquebot sur le point d'entrer dans le canal de la Giudecca. ©V.C.
Cela fait huit ans que je vis dans une ville portuaire où depuis 150 ans on construit des navires, et notamment des paquebots de croisière. Et c'est beau, de voir naître un paquebot de croisière d'une simple tôle d'acier, comme j'ai déjà pu l'écrire sur ce blogzine. C'est émouvant parce qu'il y a beaucoup d'ingéniosité et d'ingénierie, beaucoup de sueur, beaucoup de fierté emprisonnées dans la coque d'un paquebot. Une fois qu'ils quittent l'estuaire de la Loire, ces navires vont voguer un peu partout sur la planète. Ils offrent du rêve, la possibilité séduisante de s'endormir dans une ville pour se réveiller dans une autre, tous les jours, le temps d'une croisière.
Le jour où j'ai croisé l'ombre familière de ces géants dans le canal de la Giudecca et le bassin San Marco, j'ai senti le malaise. J'en discutais avec ma moitié lorsqu'un couple d'Italiens d'environ 70 ans nous a accosté, en français: « il faut le dire, l'écrire, le faire savoir, ça ne rapporte rien du tout à Venise, que des désagréments. C'est un crime de voir ça! », déploraient cette italienne originaire de Padoue et son mari vénitien. Voilà qui ne pouvait pas mieux tomber! Effectivement, comment trouver cela beau dans ce contexte, dans ce paysage, face à cette merveille aux pieds d'argile posée sur l'eau? Incongru, c'est le mot qui vient à l'esprit quand on voit passer les paquebots si près de Venise.
Je me suis alors dit que jamais je ne voudrais faire une croisière au départ de Venise, pour ne jamais éprouver la honte de passer malgré moi dans le canal et regarder Venise d'en haut. D'en haut, parce que ces colosses dépassent toutes les bâtisses vénitiennes. Leur passage, à environ 150 m de la piazza San Marco, n'est pas sans conséquence pour la lagune et les vieilles pierres.
Dans cet épineux dossier, deux points de vue s'opposent: ceux qui défendent le développement touristique, et donc économique de Venise, et ceux qui pensent au désastre écologique, notamment sur les fonds vaseux de la lagune, entraînant progressivement la disparition de la flore marine. Et donc à terme de la faune. Sans parler de l'érosion des fondations des bâtiments et des quais bordant le canal de la Giudecca, malmenées par les courants au passage des paquebots, et la diffusion de microparticules dans l'atmosphère, disent les opposants qui prônent aussi un autre tourisme pour Venise. Le fait est qu'en 15 ans, le nombre de paquebots passant dans la lagune a presque triplé, avec plus de 660 navires par an. Le 21 septembre 2013, c'est pas moins de 26 passages de paquebots que l'on a pu voir depuis la Cité des Doges. Le nombre de Vénitiens, lui, décroît depuis des décennies: moins de 59 000 aujourd'hui, contre 175 000 dans les années 1950.
Résultat: les manifestations se multiplient à Venise, surtout depuis le naufrage du Costa Concordia à proximité de l'île du Giglio. Le comité participatif et auto-financé No Grandi Navi veut marquer les esprits en appelant à manifester les 7 et 8 juin piazzale Roma. En pleine Biennale internationale d'architecture qui commence ce week-end-là! Voilà qui risque de faire quelques remous... Il y a quelques jours, le comité a réussi à dérouler sur le campanile de la place Saint-Marc une banderole appelant à cette manifestation. Ils viennent également de publier un Livre Blanc argumenté sur les conséquences du passage des grands navires dans la lagune (à lire sur le site No Grandi Navi).
Des banderoles du comité fleurissent aux balcons vénitiens. ©V.C.
Une première bataille avait été remportée à l'automne 2013 par les opposants, lorsque la ville avait décidé de réduire de 20% en 2014 le passage des navires de plus de 40 000 tonnes dans le canal de la Giudecca, et interdire les navires de plus de 96 000 tonnes dès l'automne 2014 (ceux de plus ou moins 3000 passagers). Mais la décision a été suspendue en mars dernier, en attendant d'étudier plus précisément les projets de contournement.
Les opposants aux grands navires dans la lagune ont peut-être une chance d'être mieux écoutés : Dario Franceschini, le nouveau Ministre des biens culturels et du tourisme du gouvernement de Matteo Renzi, est opposé au passage des paquebots dans la lagune et partisan d'une alternative de contournement. Venise vaut bien cela...
©V.C.
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