La « réécriture radicale » répond à ce que ne cessent de dire les poèmes. On ne dira pas qu’elle en est la conséquence logique, mais vitale. « Je me tiens au même endroit pour vivre et pour écrire. Séjour d’un désarroi. D’une intranquillité sans fin – ni commencement. » L’écriture et la vie relèvent d’une obstination rageuse. Elles engagent une reprise permanente. Elles font voir une « issue » qui est, tous les jours, à reconsidérer (cf. la section « L’issue, journal »). Le poème et donc le livre ne mènent nulle part une fois pour toutes. Ils doivent creuser sans cesse, dans l’angoisse et le désir, ce qui ne sera jamais au jour.
Le mouvement est vertical. Il est celui de la chute : « Je me regarde tomber en absence dans un labyrinthe vertical – et cette chute n’a pas de mot pour finir. » Le poète ressemble en cela au voyageur toujours en mouvement. Mais il ne traverse pas un pays ; son pas s’enfonce : « Le pas d’un homme creuse. » « Ressaisir » des textes vieux de près de quinze ans perpétue ce geste d’exploration de la profondeur. Puisqu’il n’y a pas de réconciliation avec soi (« Rien / Ne me réconcilie ») ou de terme imposé à la chute grâce au recueil, celle-ci est toujours à « regarder » à nouveau, vécue sans fin. Dire une fois, c’est étrangement ouvrir la possibilité d’y revenir, de faire « tourner » encore ce qui est devenu déjà figé, « mort », de le contredire autrement.
Ce n’est pas dissoudre le « mort », l’oublier, mais retourner sur la « scène du crime » qu’est le poème. C’est le mêler à la langue pour y trouver le vivant : le geste de la « réécriture radicale » se définit là. On y entend la force du négatif comme « perte fertile ». La fatigue, le trou, le corps défait, le désarroi génèrent le poème. Il n’y aurait pas de fin, mais des phrases ouvertes, une poussée d’écriture constante : celle du journal, du carnet. Quelques poèmes également ne finissent pas leur phrase et en restent à une virgule ou à deux points qui ne concluent rien et donnent l’impression du fragment. Ce serait un appel déjà à la reprise.
Ce qui est rejeté serait finalement la limite et la « lumière » qui en est la source, « sale miracle, empire à murs. » La lumière, religieusement, donne forme aux choses. Elle est cette « vieille maîtresse des réalités » qui impose nécessairement « l’invention / du nom ». Or, l’écriture de Cédric Demangeot s’inscrit là où on ne voit pas : dans la bêtise, dans le dos, dans l’enfer, dans la nuit et le noir, durant « l’insomniaque arythmie ». C’est en ces lieux qu’on entend la vie naître et mourir. L’image du « puits » concentre ces enjeux. Trou, « puits de non-savoir », permettant d’aller plus bas, il est le lieu d’une vie violente, désirante, le lieu où paradoxalement on se brûle dans le noir : « Jouir, mourir, / parler n’ont pas d’ombre. » Ce serait alors peut-être pour conjurer la trace que laisse l’écriture (le livre lui-même), qu’il était vital de réécrire, d’y replonger.
[Antoine Bertot]
Cédric Demangeot, Autrement contredit, Fata Morgana, 2014, 23€.