Le téléphone sonne plusieurs fois avant que la connexion soit établie. De sa chambre d’un hôtel d’Omaha, au Nebraska, Sean Lennon, nous dit un bonjour un peu mou, apparemment nonchalant. Fausse impression. Une façade peut-être, parce que, même avec son débit pensif, même en 13 petites minutes top chrono, le musicien nous a raconté sans trop de filtres l’aventure musicale de The Ghost of a Saber Tooth Tiger (The GOASTT), le groupe qu’il partage avec son amoureuse Charlotte Kemp Muhl.
Et il s’en passe, des choses, dans la tête de Lennon et de Kemp Muhl, aussi mannequin à ses heures, lèvres pulpeuses à l’appui. Midnight Sun est assez loin du travail folk du multi-instrumentiste. The GOASTT propose un voyage flamboyant, avec des cordes, des guitares et des claviers arpégés. C’est du rock psychédélique à la Flaming Lips, de la pop touffue à la Beck. On plonge dans des sonorités prog et sixties, qui rappellent parfois la pièce I Want You (She’s So Heavy), du célèbre groupe de son non moins célèbre père.
« Pour moi, l’inspiration n’est pas tirée d’un album particulier, précise Lennon quand on évoque ces différents noms. C’est quelque chose qui arrive en général, tu vois. Je crois que… c’est dur à expliquer. Pense à un défilé de mode, qui arrive quatre fois par année. Chaque fois, tu dois avoir un tableau d’inspirations, de couleurs, de formes. Mais faire un disque pour moi, c’est pas comme ça, ça vient d’une palette beaucoup plus large. Ce que tu fais en musique reflète tout ce que tu as appris dans la vie, et non pas trois choses précises. Remarque, peut-être qu’il y a des gens qui font ça… En fait, j’y pense, beaucoup de gens font ça, mais moi je ne peux pas. Des fois, je peux être inspiré par un cartoon, un film, une sculpture, un livre, un poème, une chanson… »
Tout de même, Sean Lennon sait si telle ou telle de ses créations fera partie de ses disques solo, de son projet Mystical Weapons, mené avec Greg Saunier, de Deerhoof, ou si elle vivra dans le monde coloré de The GOASTT. « Je crois qu’il y a quelques ingrédients [pour notre groupe], dit Lennon, laissant passer quelques instants de silence. Ç’a peut-être à voir avec un certain lyrisme ludique, une certaine propension à mettre des notes inquiétantes, et des accords surprenants, qui ne vont pas nécessairement là où tu penses qu’ils vont. »
Les chansons de Midnight Sun sont pop en structures, mais en ambiance, Lennon parle d’un « feeling épique, élaboré, comme un film miniature. » Les chansons se promènent, partent et reviennent, et le chanteur croit qu’elles sont ainsi parce qu’elles sont réellement créées à deux. « Quand Charlotte et moi on écrit, parfois, on se renvoie la balle l’un l’autre, et ça peut continuer longtemps, alors que, quand tu écris seul, c’est plus facile de contenir ses idées. Il y a bien un élément ping-pong dans ce qu’on fait. »
Charlotte Kemp Muhl, qui est en couple avec Lennon depuis 2006, joue, entre autres instruments, de l’accordéon, et évolue aussi dans un groupe nommé Kemp and Eden. Avec The GOASST, elle touche aux percussions, à la kalimba, au vibraphone et aux guitares.
Partager le travail et sa vie avec la même personne est stimulant pour Lennon, même s’il admet que la situation amène son lot de moments plus difficiles. « Mais de plus en plus, on a du travail chacun de notre côté, alors c’est bien, ça aide. » Lennon ricane. « Johnny Cash disait que la clé d’une relation amoureuse heureuse est d’avoir des salles de bain séparées, ce que je trouve assez comique, et vrai dans un sens ! »
L’Anglais et l’Américaine sont en ce moment en pleine tournée aux États-Unis, mais The GOASTT passera deux fois à Montréal dans les prochaines semaines, soit ce mercredi à la Sala Rossa, et le 25 juillet, en première partie de Beck. « Je suis ami avec Rufus et Martha Wainwright, j’ai quelques amis chez vous. En Amérique, il n’y a vraiment que trois ou quatre villes que j’aime vraiment, et Montréal en fait partie, c’est certain. »
Publié le: Lundi 2 Juin 2014 - 09:30Source: ledevoir