Près de Mulhouse, ce poste d'aiguillage presque à l'abandon. Une horloge indique : Sept heures vingt cinq. Le temps semble s'être arrêté le long de cette voie ferrée. Plus rapides que les herbes folles, les tags ont envahi les murs. Pourtant, à l'étage, une lueur intrigue. Y aurait-il âme qui vive dans ce qui doit avoir été le centre névralgique de toute activité ferroviaire ? S'agit-il seulement d'un reflet sur ces vitres fanées ?
Il faut accepter l'idée que ce poste vital n'est plus qu'un décor vide.
POLAROID URBAN 125/2014- Mulhouse Férial
Aujourd'hui vraisemblablement le pouvoir est passé en d'autres mains, accaparé assurément par une myriade d'ordinateurs invisibles. Que reste-t-il de l'incontournable centre de décision tenant nos vies entre ses mains ? Une silhouette fugitive que nous ne regardons plus, emportés par l'allure trépidante d'un TGV.
À l'image d'une ruine antique, le poste "Mulhouse" témoigne d'un empire déchu, d'une civilisation déjà abandonnée au profit d'une autre, plus technicienne, plus froide peut-être. De l'ancienne tour de sentinelle ne s'échappera plus l'odeur du café frais à l'aube quand le service de jour reprend avant que la ville ne soit complètement réanimée.
Il y a deux ans déjà Férial proposait ses " Nostalgies contemporaines " nous entraînant jusque dans les rues de New York, sur les traces d'une culture urbaine nourrie par l’aventure des routards. Ses Polaroïds travaillés semblent exprimer une autre nostalgie, celle d'une photographie argentique, qui n 'a pas encore cédé devant la vague numérique, d'un procédé qui révèle la mémoire des lieux, l'épaisseur d'un souvenir. Révélateur et sensibilité sont des mots de la photographie. Mais ils appartiennent également au langage du cœur. Ici, la photographie ne balance pas entre réel et fiction. Elle s'insinue plutôt entre présent et passé, cherchant avec ses propres outils à nous rendre visible cette densité de la mémoire. Ces œuvres vérifient aussi que la nostalgie ne connaît pas les frontières, les époques. Des ruines de Teotihuacan aux Hauts fourneaux d' Hayange, les traces des civilisations disparues portent en elles les émotions de ceux qui les ont fait vivre. Lorsque le temps s'accélère et jette au rebut ce qui fut indispensable pour nos vies, la mélancolie prend, chez Férial, l'aspect de ces images mêlant douceur et tension. Quand l'artiste laisse provisoirement de côté l'usage du noir et blanc pour recourir à la couleur, celle-ci ne conserve du spectre que cette longueur d'onde rougeoyante de la nostalgie. Mais le regard de Férial ne se résout pas au simple abandon. La photographe nous montre que la mémoire est partie prenante de notre engagement dans le monde.