Aux origines de l’album est le blanc. Celui de la page, sur laquelle s’inscrivent du texte et des images. De leurs combinaisons naissent des réalisations quasi infinies, qui ouvrent grand le champ de la création. Partant de ce blanc initial, Album[s] explore les multiples aspects de la création. En s’appuyant sur la diversité de l’album par de nombreux exemples, il offre une synthèse novatrice de ses principes fondateurs, de ses mécanismes profonds comme de ses évolutions, jusqu’aux plus récentes.Sophie Van der Linden est une spécialiste de la littérature jeunesse. Et pourtant c'est par son roman adultes, un premier roman, La fabrique du monde, que j'ai fait sa découverte. Et j'attends avec impatience son second, l'Incertitude de l'aube, dont elle m'a déjà dit quelques mots.
Véritable beau livre sur l’album, l’ouvrage relève d’un concept innovant, mise en scène visuelle d’un propos critique original.
Outre les professionnels du livre et de la lecture, les étudiants et les illustrateurs, cet ouvrage à la conception graphique inédite, d’une grande richesse iconographique, attirera tous les amateurs d’images et leur fera découvrir, le cas échéant, ce support d’expression exceptionnel.
Aujourd'hui c'est l'auteure jeunesse que je rencontrais, dans un sympathique et très vivant Salon du livre qui se déroule au Plessis-Robinson (92).
Album - alba - page blanche ... c'est tellement évident (et mes leçons de latin sont si loin) que je n'y avais pas pensé auparavant. L'album comme support d'expression bien sûr. Et les collections d'albums, en tant que tels, ne vont se généraliser qu'à la fin du XIX° siècle en raison des innovations techniques.
1878, apparition du premier "album"
Si on suit le point de vue de Maurice Sendak, maitre en la matière, l'inventeur de l'album moderne serait Randolph Caldecott avec the House that Jack built en 1878, hélas jamais traduit en français. Il est le premier à associer texte et image en interaction cohérente et relevant d'un enchaînement de page en page. C'est pourquoi il demandait une maquette en blanc.
Et Sophie est la première à définir ce qu'est un album 126 ans plus tard dans ce livre au format inhabituel dont l'objectif est de donner une grille de lecture pour mieux comprendre la création contemporaine et faire des choix en conscience.
L'album obéira dès la fin du XIX° à une logique de livre d'artiste. Ainsi par exemple André Hellé, désigné comme un des premiers cubistes, écrira de sa main tous les éléments de ses Drôles de bêtes, dont il réalisera bien entendu les illustrations en 1919.
A la même époque, Benjamin Rabier, le génial inventeur du logo de la Vache qui rit, créé l'univers du personnage de Gédéon et influence Walt Disney, même s'il n'est pas le seul.
La priorité est donnée à l'image, encadrée dans un format carré. Ainsi Edy-Legrand, invite les enfants à lire Macao et Cosmage par le regard. On est loin du livre inventé par le codex pour lire un texte. A ce titre on peut préciser que, cognitivement parlant, la lecture d'une BD est la plus complexe et la plus fructueuse au niveau du cerveau humain. On le sait bien en observant la résistance qu'on oppose aux albums dits sans texte.
1931, naissance de l'album moderne
L' Histoire de Babar, le petit éléphant, que nous raconte Jean de Brunhoff à travers 7 albums, pas un de plus, est indissociable du développement de l'album. Son premier opus marque l'apparition de l'album moderne en raison de ce geste fort d'investir la double page, qui marque désormais l'échelle du chemin de fer, ce qui n'est pas le cas avec le livre ni avec la BD.
Ce peintre choisit pour le texte une écriture manuscrite, cursive et toute en rondeur comme ses personnages. Le rapport au temps se visualise entre la page de gauche et celle de droite. Et quand on tourne celle-ci on change de séquence narrative.
La même année Paul Faucher crée la collection "les Albums du Père castor" chez Flammarion, avec un graphisme modernisé et une qualité éditoriale de premier plan, en lien avec les idées des milieux de la pédagogie nouvelle (comme Roger Cousinet). L'artiste Nathalie Parain (Tatiana Tchelpanova) en sera la première illustratrice.
On passe alors de l'innovant au consensuel. La Petite Poule rousse illustre bien cette nouvelle voie, privilégiant l'harmonie et une sécurité affective qui rassure en période d'après-guerre. Les gammes de couleur sont harmonieuses et les formes sont douces.
1965, Création de l’École des loisirs par Jean Fabre, Jean Delas et Arthur Hubschmidt
Robert Delpire y publiera notamment Max et les maximonstres, un titre que l'on doit à Bernard Noël, le traducteur de Maurice Sendak qui, très vite, estimera cette traduction meilleure que l'original. ce qui est nouveau c'est la mise en scène de héros négatif, la voix off de la mère, et surtout la figuration de l'imaginaire de l'enfant dans toutes ses connotations inconscientes. Le film qui sera tiré du livre aura lui aussi un écho polémique.
Jusque là le livre pour enfants était un livre de prix ou d'étrennes. Mais, en tant qu'éditeur de livres d'art, il est naturel à Robert Delpire de publier des albums selon la même logique et l'Ecole des loisirs aura très vite un retentissement énorme. Non seulement pour sa capacité à aller chercher des artistes mais aussi dans la volonté d'offrir aux enfants un récit qui leur est destiné.
Ce sont Petit-Bleu et Petit-Jaune de Léo Lionni, un des plus grands best-seller parmi les albums, mais encore les Trois brigands de Tomi Ungerer.
1967, l'objet livre
Bruno Munari aura été le premier aura été le premier à intégrer des découpes, à travailler sur des calques et à aborder la sensorialité du livre. On va retrouver cet esprit avec les éditions Emme et la Petite Bulle rouge d'Enzo et Iela Mari.
Années 90, la diversification de l'image
Les anglo-saxons développent les albums de dessinateurs. Le livre jeunesse se démocratise avec les premiers Folio Poche. Gallimard rivalise avec Folio Gallimard, l'Ecole des loisirs avec Lutin Poche.
Geneviève Brisac impose Claude Ponti chez Gallimard. Son album d'Adèle, écrit à la naissance de sa fille en 1985, est un anti imagier qui participe à l'affirmation que le bébé est une personne. Il est désormais acceptable que l'on propose de la littérature avant l'âge de deux ans.
Grégoire Solotareff arrive la même année, lui aussi d'abord chez Gallimard avec ses aplats de couleurs denses et vives, et des dessins bordés d'un large trait noir. Puis ce sont Philippe Corentin, Michel Gay. Claude Ponti, Yvan Pommaux, Anthony Browne évoluent vers la BD. On observe beaucoup d'hybridations.
Nadja, la soeur de Solotareff, rompt avec la tradition du dessin. Une oeuvre comme Chien bleu est très picturale, s'est dépouillé des contours. La matérialité de la peinture est assumée.
Olivier Douzou, graphiste, architecte de formation, dessine Jojo la mache pour sa fille (lui aussi) en 1993, entièrement de sa main, jusqu'au code barre.
On va bientôt parler d'écriture brute pour certains albums comme on parlait d'art brut. Et même à sortir de al cible de la jeunesse pour s'adresser à de nouveaux lecteurs, mais ces collections comme Touzazimut au Rouergue ne trouveront pas leur public.
Les tendances récentes
Le travail sur la couleur, permis par l'usage de l'ordinateur qui autorise des accords audacieux. les éditions Courtes et Longues ont publié un livre sur les saisons qui se déploient en créant le suspense;
- L'évolution de l'impression en tons direct est un progrès;
- La conception intègre de plus en plus les éléments de la fabrication;
- On redécouvre la sérigraphie;
- Tout est vrai, et son contraire aussi, soit par exemple avec très peu de blanc, soit avec beaucoup;
- On propose des pop-up aussi pour les tout-petits;
- On développe les jeux d'illusion et toutes les formes d'humour;
- Le retour au texte, au lexique, au rythme, à la sonorité est une très forte tendance;
- L'hybridation très poussée.
Album [s] de Sophie Van der Linden, sous la direction artistique d'Olivier Douzou, en Coédition Editions de facto / Encore une fois, chez Actes Sud Junior, octobre 2013