Van Gogh / Artaud - Le suicidé de la société, au Musée d'Orsay à Paris

Publié le 31 mai 2014 par Francisrichard @francisrichard

Hier matin, à la première heure, je suis allé visiter l'exposition consacrée à Vincent Van Gogh, dont la fluidité du parcours a été guidée par le texte d'Antonin Artaud, Van Gogh - Le suicidé de la société.

J'avais été prévenu. Il fallait, même muni d'un billet, arriver tôt. Trois quarts d'heure avant l'heure j'ai donc émergé de la station de métro Solférino. Il était tout de même suffisamment tôt pour que j'aille prendre un café au Solférino, à deux pas du siège du PS...

- Bonjour Madame. J'aimerais un express.

- Bonjour Monsieur. Désolée, nous ne servons plus d'express, seulement du champagne.

- ...

- Que voulez-vous, Monsieur, c'est la crise.

Sur ce, très pince sans rire, la patronne m'a préparé un express, en souriant.

Je suis bien à Paris, me dis-je, et je me sens de plus en plus Fransuisse, comme on me surnomme ici...

Quand je vois la foule qui se presse pour voir l'exposition Van Gogh/Artaud, je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase d'Antonin Artaud qui se trouve à la dernière page de son Van Gogh - Le suicidé de la société et par laquelle il s'adresse à ceux qui visitent à l'époque, en 1946, l'exposition consacrée au peintre à L'Orangerie:

Les mêmes, qui à tant de reprises montrèrent à nu et à la face de tous leurs âmes de bas pourceaux, défilent maintenant devant Van Gogh à qui, de son vivant, eux ou leurs pères et mères ont si bien tordu le cou.

Alors, au moment de franchir le seuil de l'expo temporaire de cette année, je m'efforce de défiler devant les oeuvres du peintre hollandais, en faisant abstraction de ce que je sais de l'homme, pour ne plus voir qu'elles.

C'est bien difficile, parce que dans la première salle sont suspendus trois autoportarits dans l'ordre chronologique, et parce qu'il est impossible de ne pas voir la transformation physique du peintre en quelques mois, son visage se creusant de plus en plus et ses yeux devenant de plus en plus inquiétants.

C'est bien difficile parce que sont exposées des toiles qu'il a peintes à l'hôpital Saint Paul à Saint-Rémy-de-Provence, où il avait demandé lui-même à être interné après s'être coupé l'oreille pour se punir d'avoir menacé son hôte, Paul Gaughin, avec un rasoir.

A défaut d'avoir pu faire venir Le champ de blé aux corbeaux, une projection en est faite à mi-parcours, en très grand format. Le texte inouï d'Artaud sur cette oeuvre, vraisemblablement la dernière du peintre, est dit par Alain Cuny, qui l'a enregistré en 1995. J'en frémis encore, tellement il est suggestif.

C'est avec émotion que j'ai vu, de mes yeux vu, La nuit étoilée, dont je ne me souvenais pas qu'elle se trouve de manière permanente au Musée d'Orsay.

Sur Les lauriers-roses, peints à Arles en 1888, l'obsédé textuel que je suis a repéré le titre du livre posé sur la table. C'est La joie de vivre d'Emile Zola...

Antonin Artaud a raison. Il est impossible de décrire les toiles de Vincent Van Gogh aussi bien qu'il l'a fait lui-même dans ses lettres à son frère Théo. Il faut donc se contenter de dire avec Artaud que:

Van Gogh est peintre parce qu'il a recollecté la nature, qu'il l'a comme retranspirée et fait suer, qu'il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs le séculaire concassement d'éléments, l'épouvantable pression élémentaire d'apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits.

Ce que dit Artaud est d'autant plus vrai que ces apostrophes, ces stries, ces virgules, ces barres, visibles quand on a le nez sur ses toiles, ne sont plus perceptibles à bonne distance pour les contempler.

De très courts extraits de films dans lesquels Artaud a joué défilent sur un écran, des films muets comme des parlants. Il crève l'écran par sa présence, souvent celle d'un halluciné qui ne peut laisser personne indifférent.

Artaud était comédien, acteur, metteur en scène, écrivain et... dessinateur.  De son autoportrait  du 17 décembre 1946 se dégage une solitude mélancolique qui ne peut qu'émouvoir.

Artaud, cet hypersensible était à même de comprendre cet autre hypersensible qu'était Vincent Van Gogh et son livre, pourtant très bref, en dit plus sur le peintre, et d'une autre manière, que bien des livres écrits précédemment et depuis.

Cela dit, même si je n'avais pas lu Artaud, les oeuvres de Van Gogh exposées à Paris ce printemps m'auraient confirmé un trait de caractère que je ressens en les voyant et qui n'est peut-être pas assez souligné, obnubilés que nous sommes par sa fin tragique, Vincent Van Gogh avait une grande compassion pour ses semblables.

Au sortir du Musée d'Orsay, mes pas me conduisirent en bord de Seine, où une jeune femme solitaire pianotait sur son smartphone...

Francis Richard