En cette pluvieuse journée de mai, l’industriel français des cosmétiques a invité une vingtaine de bloggeurs/bloggeuses (dont ScientiGeek !) s’intéressant à la science ou aux cosmétiques afin de présenter son centre de recherche Episkin. Et si certains en doutaient encore, la célèbre marque de cosmétiques nous a confirmé, grâce à la visite de ce centre, sa position de leader en matière d’innovation technologique. En tant que femme et scientifique, j’attendais beaucoup de cette visite afin de comprendre les processus mis en place par l’Oréal afin de tester la sécurité et l’efficacité de chacun de leurs produits.
La fin de l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques
L’industrie cosmétique doit répondre à des exigences de plus en plus strictes afin d’assurer la sécurité des utilisateurs des produits élaborés. En parallèle, on assiste à une véritable révolution des techniques d’évaluation de la toxicité des produits avec l’établissement de la « directive cosmétique » ayant pour but d’éliminer progressivement l’expérimentation animale. En effet, depuis 2004, l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques finis est interdite dans l’Union Européenne et en 2009 cette interdiction a été étendue aux ingrédients composant les cosmétiques.
Finalement, depuis le 11 mars 2013 une interdiction de mise sur le marché de la Communauté Européenne des produits et des ingrédients cosmétiques ayant été expérimentés sur les animaux (que ce soit dans l’Union Européenne ou dans le reste du monde) a été mise en place. Ces différentes dispositions ont forcé le marché industriel cosmétique à élaborer des méthodes de substitutions (puisque heureusement, les exigences en termes de démonstration de la non-toxicité de chaque produit ne se sont pas assouplies !).
En savoir plus sur la position de L’Oréal concernant les tests sur animaux.
Une avancée technologique majeure
Dans cette course imposée à l’innovation, l’Oréal tire son épingle du jeu en développant un modèle lui permettant d’arrêter les tests des produits finis sur animaux en 1989, soit 14 ans avant que la loi ne l’exige ! Un très bel exemple de clairvoyance de la part des dirigeants de la marque… Mais comment ont-ils fait ?
Dans les années 80, l’Oréal, en collaboration avec l’Institut Mérieux, commence à s’intéresser à la reconstruction de tissus humains, notamment de la peau humaine. À partir d’un premier modèle d’épiderme reconstruit sur un support de collagène (le modèle Episkin), l’Oréal a par la suite pu développer son catalogue en incluant plusieurs modèles d’épithélia et un modèle de cornée.
La reconstruction de tissus humains
Concrètement, comment se passe ce processus de reconstruction de peau ? Les chercheurs sont capables d’extraire des cellules épithéliales à partir de don de peau ayant lieu lors de chirurgies plastiques (plus précisément, lors des réductions mammaires). Ces cellules sont alors mises en cultures dans du milieu additionné de différents facteurs favorisant leur multiplication, et lorsqu’elles sont suffisamment nombreuses, les cellules sont congelées dans de l’azote liquide. Ces cellules congelées provenant d’un don composent une banque de cellules qui seront alors utilisées pour la reconstruction de l’épiderme sur un support de collagène produit précédemment. Bien entendu, en conséquence de la variabilité existante entre les dons, chaque banque de cellules passe par des étapes de validation grâce au test d’une 100 de produits « références ».
À l’heure actuelle, le modèle breveté Episkin est disponible pour tous les utilisateurs de la communauté scientifique ainsi qu’aux industries pharmaceutiques/cosmétiques… Ces tissus reconstruits sont mis à la vente dans des plaques contenant 12 tissus (chacun dans un puits individuel) et sont produits dans le centre Episkin que nous avons visité.
Le centre Episkin
Localisé à Lyon Gerland, le centre Episkin dédié à l’ingénierie tissulaire abrite 70 biologistes sur une surface de 3670m2 et tourne à plein régime puisque depuis 2006, la sécurité de plus de 16 000 produits finis ou ingrédients a été évaluée ! Le centre est composé de laboratoires et de salles blanches. Les salles blanches, que nous n’avons pas pu visiter, sont des salles propres dans lesquelles l’air est filtré plus de 30 fois par heure afin de minimiser les risques de contamination des cellules. En effet, ce sont dans ces salles que les cellules sont cultivées et que les tissus reconstruits sont produits.
Nous avons en revanche pu visiter les laboratoires dans lesquels sont effectués les tests de sécurité et d’efficacité des produits. Dans un premier temps, les biologistes évaluent la tolérance des produits qu’ils reçoivent. Pour chaque produit le modèle tissulaire le plus adapté est choisi et la tolérance cellulaire au produit testé (à une dose égale ou supérieure à celle qui sera appliqué par le client) est évaluée sur un temps d’exposition de 24h. Puis l’efficacité du produit est testée. Les biologistes présents ce jour-là nous ont fait la démonstration d’un test de la photo-protection fournie par une crème solaire : le tissu avec ou sans crème est exposé de façon prolongée à des UV A et B avant d’être inclus dans de la paraffine. Des coupes sont alors effectuées à partir des blocs de paraffine contenant les tissus et les colorations histologiques réalisées ensuite permettent de comparer au microscope l’effet des UV sur le tissu non protégé par une crème et celui protégé par une crème. Evidemment chaque test est adapté au type de produit testé, et la photo-protection n’est qu’un des nombreux tests effectués dans le laboratoire !
Au final, le modèle développé par l’Oréal est vraiment convaincant et peut être ouvert à beaucoup d’applications, pas uniquement dans l’industrie cosmétique. Les chercheurs du centre continuent à améliorer leurs modèles pour approcher encore plus des caractéristiques de la peau humaine et sont maintenant capables de reconstruire de l’épiderme sur un derme vivant et non sur une base de collagène. Par ailleurs, l’Oréal a ouvert un deuxième centre de recherche en Chine afin de pouvoir reconstruire de la peau chinoise et d’étudier les différentes réponses aux produits des peaux caucasiennes/chinoises.