Ces deux derniers mois à l’opéra Bastille, s’est tenu « I Capuleti e i Montecchi » de Bellini, compositeur italien du 19ème siècle. Si le titre vous est vaguement familier, c’est effectivement parce qu’il s’agit de l’histoire déchirante, jouée entre les familles Capulet et Montaigu, autrement dit celle de Roméo et Juliette.
Pour ceux, à qui le titre a mis la puce à l’oreille, et qui s’attendent à voir une scène de balcon, un clair de lune, et des effusions autour d’un amour interdit qui se noue peu à peu, ce ne sera pas pour cette fois. I Capuleti e i Montecchi, réserve en effet une interprétation inattendue, à plusieurs niveaux, du célèbre drame.
Bellini souvent considéré comme le successeur de Rossini à son époque, connait un succès précoce et fulgurant, avant de disparaitre de manière précoce (à l’âge de 34 ans). Il prend place, au début du 19ème siècle en Italie, dans la tradition du bel canto, qui défend les notions de recherche de timbre, mais aussi de virtuosité vocale (nuances, démonstrations de l’ambitus, vocalises).
Pour I Capuleti e i Montecchi, il fait deux choix capitaux qui font l’originalité de son opéra : un livret centré essentiellement sur le drame et un rôle de Roméo tenu par une femme.
En effet, le librettiste, Felice Romani, qui signe un livret qui s’appuie sur la toute première version du mythe de Luigi da Porto (1535). Il fait l’économie de la rencontre, de l’amour des deux amants, et situe immédiatement l’action avant le drame. Nous disposons ainsi de 24h avant la tragédie. La dispute est le thème principal développé à plusieurs titres. Dans un contexte guerrier appuyé, Roméo se révèle alors comme chef de guerre émérite, venant parler puis défier l’armée adverse. La tension créée donne toute sa contenance à la fatalité qui guette les deux amants.
Point de place pour l’histoire d’amour et la romance, et lorsque durant le spectacle, les deux amoureux se retrouvent, c’est autour de leur fuite que se noue leur désaccord, l’hésitation de Juliette étant fatale.
Le choeur constitué par des soldats alimente la tension musicale, resserrant l’intrigue autour du drame, et va jusqu’à faire fi de la réconciliation finale. La rivalité des deux familles ne trouve pas d’issue même devant les corps éteints des deux amants.
L’ensemble est soutenu par une mise en scène dépouillée, pourpre et sombre qui met en place de hauts panneaux figurant les murailles, mais aussi le huis-clôt de la conscience et de la tragédie, renforçant la solitude intérieure de chacun des personnages.
Dans le choix du travestissement de Roméo, dû aux moyens dont disposait à l’époque le compositeur, renforce également la tension. Ici on doit beaucoup à Karine Deshayes, mezzo-soprano, qui porte l’opéra, soutenant la force du choeur, et présentant une belle palettes d’émotions. Si sa virilité étonne au début, c’est ensuite une évidence, tant elle est convaincante et juste dans son rôle.
Face au drame, dans le second acte, le choeur quitte son rôle premier d’armée, mais apporte un commentaire à l’intrigue, à la manière du choeur antique.
L’assistance frisonne, et s’émeut devant la scène finale qui présente l’instant rare et fugace, du dernier échange entre les deux amants, tous deux condamnés. Passage puissant, dont Shakespeare fait l’économie. La lumière entre alors sur scène comme un puits, les éclairant tous deux une dernière fois.
(spectacle terminé)
I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini
à l’opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris