Un génie du futurisme, qui nous fait replonger avec splendeur dans les années 00. Un retour vers le futur, revu par le QI musical exceptionnel d’Erwan Castex, aka R.One ou plus connu sous le nom de RONE. Entendre RONE pour la première fois, c’est comme honorer Dieu de nous avoir dotés de tympans.
Les plus chanceux l’ont vu au Rex, les petits nouveaux dans le dernier Trax qui fait une ode à son nouvel album, Tohu Bohu paru en automne 2012. Le nouveau Paul Kalbrenner est arrivé, offrant de l’électronique de qualité aux masses. Son nom sera bientôt hurlé par tous les amateurs de musique électronique et autres grâce à ses mélodies vaporeuses. Sa musique est accessible à tous, pour notre plus grand bien.
Pourquoi est-ce un génie ? Parce qu’il a tout compris de son environnement musical et l’utilise à la perfection pour façonner ce qu’on a toujours voulu entendre, qu’on a aperçu chez Agoria ou Oxia, et on découvre enfin l’extase, la récompense après la longue attente. Une récompense que l’on attendait plus, que l’on ne cherchait plus. On ne peut pas parler d’un style particulier, ses tracks, bien qu’excellents, ne ressemblent en fait qu’à un choix calculé de notes et de beats. Son génie n’est reconnaissable que par sa discrétion qui l’a caché jusqu’à présent.
Je suis un chercheur du son parfait. Un rôle maudit en 2012 qui se traduit par des illuminations aussi rares que le sont les baisers de l’inspiration. La surprise surgit de nulle part et me ravit pendant quelques mois, masquant à peine le vide ou mieux, la pollution sonore qui m’entourent. Keyboard Milk de Röyksopp était le dernier exemple en date. C’était une journée de l’été 2013, une journée qui s’annonçait comme les autres. Je me souviens de la luminosité qui s’abaissait de la pièce, de la tasse de café bouillante au bord de la table en verre et de la bouteille de parfum que j’avais laissé ouverte le matin. Le fait que je me rappelle encore de ces détails insignifiants prouve à quel point ces moments sont rares.
Je suis devenue une épicurienne musicale. J’ai tu ma soif quand j’ai réalisé que je ne pouvais plus aspirer à découvrir ces sensations uniques d’élévation aussi souvent que pendant la période bénie. Pour ma propre tranquillité, je devais me satisfaire de ce qui s’offrait à moi et estimer à chaque instant ma précieuse collection de trophées, redécouvrir leur éclat et m’en émerveiller.
Je n’attendais plus le grandiose, je le savourais quand il venait à moi. RONE m’a redonné l’appétit, a attisé ma gourmandise, et la boulimie de sons est ressortie sans plus aucun contrôle. Je peinais à étouffer mon impatience qui m’empêchait d’écouter les dernières secondes d’une chanson avant d’en commencer une autre. Je suis entrée dans le paradoxe de RONE, où l’impatience d’entendre la suite et la peur que tout s’arrête se battent en un duel éternel.
C’était la beauté en plus subtil, le futur à l’ancienne mode, la légèreté d’un sourire. Une ballade mélodique dans la sérénité que nous offre la douceur d’Aroma et les frissons de Bye Bye Macadam. On reste sans voix, la bouche entrouverte et les yeux cherchant les étoiles, la splendide forêt des constellations. On écoute chaque seconde avec l’appréhension que tout s’évapore, que le son suivant abime le morceau jusqu’à l’entraîner dans les abysses.
L’inverse se produit et chaque sonorité dévore la précédente dans un univers encore plus bouleversant où l’on se perd dans l’angoisse inexprimable que tout s’arrête. Sa beauté nous trouble à nous en heurter. On se sent petit face à cette magnificence qui nous traverse mais nous dépasse, laissant après son passage une nostalgie sans nom qui grandit lors des dernières secondes. La musique s’éteint en un déchirement, le déchirement que nous procure la fin de ce baiser sonore. On ne peut plus s’en passer et on recommence, mais chaque seconde annonce aussi bien la suivante tout aussi délectable, que le rapprochement inévitable vers le néant.
Mais la sagesse nous pousse à s’arrêter, et la frustration nous submerge. C’est le réveil après un rêve et le retour au cauchemar où le silence blesse et le bruit agresse. En écoutant RONE, tout ce qui pouvait nous sauver c’était la déception : le regret d’une mauvaise musique est plus facile à admettre que celui d’un souvenir merveilleux. La frustration est ardente, continuer la quête du son parfait redevient une nécessité.
La philosophie de modération ne peut plus marcher, et j’ai rattrapé en quelques minutes les cinq années de retard que j’avais. J’aurais voulu entendre plus vite et tout d’un coup, comme une recharge en une piqûre. J’en voulais plus, et l’émerveillement que m’inspirait ce monde me consumait en une lente agonie, partagé entre mon empressement et la peur de l’abîme.
Le paradoxe de RONE m’a battue.