La déroute de la gauche aux élections européennes a conforté la position des parlementaires socialistes contestataires, qui se mettent en ordre de bataille pour présenter des amendements aux prochains collectifs budgétaires. Les frondeurs commencent aussi à regarder au-delà des rangs socialistes.
Les municipales avaient ébranlé les parlementaires socialistes, entrainant l’apparition des "frondeurs" ; les européennes ont boosté ces derniers. Ils ont lancé, mercredi 28 mai, leur site Internet. Et ils se mettent en ordre de bataille pour "peser" sur la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale rectificatives – deux textes qui doivent arriver à l’Assemblée nationale début juillet. À en croire l’allocution du président de la République au lendemain de la déculottée européenne, il ne faut y attendre aucun changement. Sauf si les "100" parviennent à faire passer les amendements qu’ils préparent.
Unir la galaxie des frondeurs
C’est mardi 3 juin, à l’issue de leur réunion hebdomadaire, que sera connu le contenu des modifications que l’Appel des 100entend faire passer. Mais leur philosophie est déjà connue : elle s’inscrit dans la continuité des arguments qui ont amené 41 d’entre eux à s’abstenir sur le Pacte de responsabilité. La députée du 20e arrondissement de Paris Fanélie Carrey-Conte, au cœur du dispositif, rappelle : « Il est extrêmement compliqué, politiquement, de faire payer les aides aux entreprises par les classes populaires et les classes moyennes ».La parlementaire, membre du courant Un monde d’avance(proche de Benoît Hamon et Henri Emmanuelli), est vent debout contre les orientations actuelles du gouvernement.Jugée moins jusqu’au-boutiste que son camarade Pouria Amirshahi, elle en partage pourtant le diagnostic : « Dès le lendemain des municipales, nous avions exprimé nos réserves quant aux insuffisances et aux risques liés à la politique du gouvernement. Les européennes ont renforcé notre diagnostic ». Et d’enfoncer le clou : « Les 50 milliards du Pacte de responsabilité sont injustes et inefficaces ». La multiplication des cadeaux fiscaux et en matière de cotisations sociales, ainsi que le gel des prestations familiales, ont fini d’unir la galaxie des frondeurs, qui recrutent depuis certains Aubristes jusqu’à la sénatrice Maintenant la gauche Marie-Noëlle Lienemann, en passant par des élus se revendiquant de la Gauche populaire ou encore d’anciens Strauss-kahniens.Fracture de la gauche
Ces mesures sont jugées contre-productives du point de vue économique. Pascal Cherki, député du 14e arrondissement de Paris, résume : « Faire financer les cadeaux aux entreprises par les ménages ne fera pas revenir la croissance. Une fois encore, on ne traite pas la demande qui est le point central de notre économie ». Mais le Pacte de responsabilité est aussi considéré par les frondeurs comme contre-productif d’un point de vue politique. « Cette politique produit de l’incompréhension dans notre base, euphémise l’élu parisien. Pire encore, elle fracture la gauche. Le PCF est passé dans l’opposition où il sera peut-être bientôt rejoint par les Verts qui ont déjà quitté le gouvernement. »À l’appui de leur analyse, les parlementaires socialistes contestataires avancent les résultats des municipales, à l’issue desquelles la gauche a perdu plus de 150 villes, mais aussi la déroute des européennes. Fanélie Carrey-Conte constate : « S’il n’y a pas d’amélioration, économique pour le pays et sociale pour chacun de nos concitoyens, ce sera très difficile de battre le Front national ». Les frondeurs revendiquent donc « un devoir pour la gauche, qui doit réussir » et une « loyauté vis-à-vis de nos électeurs alors que trop de promesses n’ont pas été tenues », résume la jeune députée.« Redéfinir une stratégie commune de la gauche »
L’examen des collectifs budgétaires (qui seront présentés en conseil des ministres les 11 et 18 juin) est donc la nouvelle étape que se fixent les contestataires. Ils voient là l’occasion d’élargir leur audience dans les rangs socialistes et d’imposer leur propre agenda avec des amendements « que nous voterons jusqu’au bout », précise Fanélie Carrey-Conte. Pour s’assurer de la réussite, au-delà d’un travail de conviction dans les rangs socialistes, il semble se dessiner un travail en direction des autres parlementaires de gauche. « Nous entendons combiner le travail en interne avec celui de convergence avec les élus PCF et EELV », avance Pascal Cherki.Le député Un monde d’avance estime qu’il est temps de« redéfinir une stratégie commune de la gauche autour d’une nouvelle synthèse politique. Pour cela, il faut que chaque organisation ait envie d’avancer ensemble ». Selon lui, cela se fera, au-delà de la bataille parlementaire, par une action au sein de chaque organisation mais aussi en « renouant des liens avec le mouvement social ».Les européennes ont donc mis les frondeurs socialistes au pied du mur, qui revendiquent « agir par devoir, pour éviter de nouvelles défaites électorales ». Reste à savoir s’ils sauront franchir le mur de leur loyauté de parti pour assumer leur loyauté vis-à-vis du peuple de gauche. Ils le disent. Rendez-vous début juillet pour savoir s’ils le feront. Les précédents du vote de confiance à Manuel Valls et du Pacte de responsabilité alimentent un doute légitime. Moins chargé symboliquement que les deux précédents, le vote des collectifs budgétaires revêt une importance politique bien supérieure.http://www.regards.fr/politique/contestation-au-ps-les-100-au-pied,7772