Une étude dénonce les cadeaux fiscaux bénéficiant aux plus aisés tandis que la réduction de la dette pèse sur l'ensemble de la population. | Massimo Barbieri/CC-BY-SA 2.0.Mercredi 28 mai, la Cour des comptes a relevé que les impôts ont rapporté 14,6 milliards d'euros de moins que prévu en 2013. Au même moment, le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), qui rassemble des associations militantes, s'alarmait du manque à gagner de l'Etat à cause de son laxisme fiscal. Un avertissement qui tombe à pic quand le creusement de la dette semble s'aggraver d'année en année et que le gouvernement prépare un plan d'économies de 50 milliards d'euros.
L'étude du CAC publiée cette semaine entend démonter la logique à l'œuvre derrière l'équation « montée de la dette = croissance excessive des dépenses publiques ». Pour parler simplement, l'Etat vivrait au dessus de ses moyens. En réalité, il faut aussi regarder du côté du ralentissement des recettes.
« L'augmentation de la dette de l'Etat ne peut s'expliquer par l'augmentation des dépenses, puisque leur part dans le produit intérieur brut (PIB) a chuté de deux points en trente ans. Si la dette a augmenté, c'est d'abord parce que, tout au long de ces années, l'Etat s'est systématiquement privé de recettes en exonérant les ménages aisés et les grandes entreprises », avancent les auteurs, dont des membres d'Attac et des Economistes atterrés.Sur la même période, les recettes ont chuté de 5,5 points.Depuis 1980, on observe une sorte de cycle avec des périodes d'augmentation du déficit (la zone grisée se gonfle). Après quelques années, les dépenses sont réduites pour s'ajuster à la baisse des recettes, du coup le solde (l'écart entre les deux courbes) se réduit. En clair, on resserre les cordons de la bourse jusqu'à la prochaine période de croissance... ou la prochaine élection.Lire : Déficit et dette : le dérapage français expliqué en graphiques
« Une autre dette était possible »
Premier constat, si l'Etat n'avait pas laissé chuter ses recettes assez fortement àpartir de 1998, le niveau de la dette serait bien plus bas qu'actuellement.Le graphique ci-dessous montre l'impact des cadeaux fiscaux sur le ratio dette/PIB. En se privant d'une partie de ses recettes, l'Etat a laissé la dette s'accroître jusqu'à représenter 90 % de la richesse produite par le pays, alors que ce ratio aurait pu être ramené à 72 %.Ensuite, l'étude souligne la cherté des taux pendant la période de 1985 à 2005 : prenant comme hypothèse que l'Etat aurait pu emprunter à 2 % (si la politiquemonétaire du « franc fort » puis de l'« euro fort » n'avait pas poussé les taux beaucoup plus haut), ils calculent que la dette publique aurait été inférieure de 29 points de PIB à son niveau actuel.Au bout du compte, si l'on retire 29 points de PIB pour les intérêts et 18 points pour les cadeaux fiscaux, on arrive à cette conclusion : « Si l'Etat n'avait pas réduit ses recettes et choyé les marchés financiers, le ratio dette publique sur PIB aurait été en 2012 de 43 % au lieu de 90 % ». Soit largement sous le seuil des 60 % fixé par Bruxelles.
Une addition payée par les ménages
Le collectif y voit une « stratégie néolibérale » décrite ainsi : « La tendance permanente au déséquilibre budgétaire est donc engendrée par les choix de politique fiscale qui à leur tour viennent ensuite légitimer le recul ultérieur des dépenses publiques. »Et de dresser la liste des gestes de l'Etat depuis 2000 : baisse de la taxe d'habitation, baisse de l'impôt sur le revenu, suppression de la vignetteautomobile... Des mesures destinées explicitement, sous la présidence deJacques Chirac, à restituer aux Français la « cagnotte » des années de croissance.Cette générosité, non dénuée de visées électoralistes, ne sera pas démentie sousNicolas Sarkozy, alors que la croissance n'est plus à l'ordre du jour. Et se poursuit sous la présidence de François Hollande.« C'est l'augmentation du taux normal de la TVA au 1er janvier 2014 à 20 % qui doit financer le Crédit d'impôt compétitivité emploi. De même, ce sont les coupes de 50 milliards dans les dépenses publiques qui doivent financer de nouvelles baisses de cotisations dans le cadre du Pacte de compétitivité décidé début 2014 », accusent les économistes. L'addition, salée, est donc payée au final par les ménages : hausse des prix à la consommation, moins de services publics...59 % de la dette illégitime
Quant à l'impôt sur le revenu, la proportion de contribuables qui bénéficie de ses baisses est toujours plus faible, et plus riche, puisque cet impôt est progressif : taxant plus lourdement les hauts revenus, ses baisses profitent mécaniquement au haut de l'échelle.Ce constat est-il si étonnant ? Il a en fait déjà été réalisé par l'Insee en 2010, qui notait : « En l'absence de baisses de prélèvements [depuis 1999], la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'est en réalité. »Un autre rapport, également de 2010, abondait dans ce sens : « Entre 2000 et 2009, le budget général de l'Etat aurait perdu entre 101,2 (5,3 % de PIB) et 119,3 milliards d’euros (6,2 % de PIB) de recettes fiscales, environ les deux tiers étant dus au coût net des mesures nouvelles – les baisses d'impôts », notait alorsGilles Carrez, rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale.En somme, résume le CAC, sur la dette de l'Etat (la partie la plus déterminante de la dette publique, dont on exclut les collectivités territoriales et la sécurité sociale), 59 % peut être considéré comme illégitime.Des cadeaux pour qui et pour quoi ?
On pourra arguer, reconnaît le collectif, qu'un maintien constant des recettes était impossible à cause de la crise. C'est d'ailleurs ce que mentionnait l'Insee en écrivant : la crise qu'a vécue la France « a entraîné de fortes pertes de recettes fiscales (impôt sur les sociétés et taxe sur la valeur ajoutée notamment) ».L'institut cite l'analyse de précédents historiques par le FMI ou l'OCDE qui ont montré que « la perte d'activité subie par l'économie à la suite d'une crise financière est loin d'être intégralement rattrapée ». « Dans la mesure où les recettes sont à long terme proportionnelles au PIB, il en résulterait une perte durable » de celles-ci, conclut l'Insee.Mais tout dépend du contenu social des cadeaux fiscaux, insiste le collectif :« Rappelons qu'ils étaient supposés doper la consommation et la croissance. Mais, ces effets escomptés n'ont pas eu lieu parce que les cadeaux fiscaux étaient ciblés sur des couches sociales à forte propension à épargner. » Ou parce qu'ils bénéficiaient aux entreprises, sans contrepartie exigée en retour.Un emprunt d'Etat ?
Ce dernier recommande en outre, au lieu de se financer sur les marchés financiers, d'emprunter directement auprès des ménages. Une hypothèse assez hasardeuse dans le contexte actuel puisque la France se finance à des taux assez faibles (environ 2 %) et que les Français auraient eux besoin de taux attractifs (plus rémunérateurs que les autres produits d'épargne) pour avoir envie de soucrire un emprunt national. Il faudrait donc recourir à un emprunt « forcé » auprès des contribuables, à un taux réduit.Les auteurs évoquent aussi la possibilité de mettre en place un impôt exceptionnel sur les plus riches et d'annuler tout ou partie de la dette. Pour l'économiste François Morin, outre le fait qu'une restructuration léserait les intérêts de la partie des épargnants, qui verraient alors diminuer les revenus tirés de leurs fonds obligataires, « un effacement même partiel de la dette d'un pays comme la France entraînerait une crise bancaire sans précédent ».Par effet domino, les banques les plus importantes du monde entier pourraient s'écrouler, d'une part à cause du lien entre les Etats et ces établissements (qui détiennent énormément de titres de dette dans leurs bilans), et d'autre part à cause du déclenchement de produits financiers d'assurance extrêmement toxiques, les CDS (credit default swaps), « de nature à provoquer une accélération foudroyante de la crise ».Mathilde Damgé
De l'éco, du décryptage et une pincée de dataLa dette de la sécurité sociale sur les marchésCentré sur la dette de l'Etat, l'étude aborde aussi la question de la dette de la sécurité sociale et donne cet éclairage étonnant : la Cades, la Caisse d'amortissement de la dette sociale, créée en 1996, a sa propre salle des marchés, comme n'importe quelle banque d'affaires ! Contrairement à l'Agence France Trésor, qui gère la dette de l'Etat, elle peut intervenir sur les marchés des devises et des contrats à terme. Elle peut aussi chercher des financements de gré à gré (hors cotation officielle), y compris dans des paradis fiscaux comme le Luxembourg ou la City de Londres.