C’est un livre d’un seul tenant, d’un seul enjeu : revivre. Il se place dans la suite du beau Puisement, même éditeur, 2010 ; les premiers vers indiquent cette continuité : « Jours encore après / une femme pendue à un fil à linge bleu /(…) que demeure-t-il de ces jours encore après ? » (p.11). Mais si la force motrice des deux livres est identique, son maniement en mots est différent : dans Puisement, il s’agit d’absorber le choc, dans Jours encore après, Checchetto interroge cet « encore » du titre. On pourrait dire que le livre repose sur cet adverbe doux-amer, « ce mot qui bat doucement », « six lettres qui suffisent à guérir et à rétablir tout l’alphabet » (p.12). « Encore » indique à la fois la persistance du passé et son dépassement en quelque sorte forcé par l’écoulement du temps. Un autre mot bref, « plus », peut jouer sur ce double registre et donner la mesure du fragile équilibre en train de s’établir « après ». « nous parlons d’elle plus là » (p.52) : on entend à la fois, selon la prononciation ou pas du « s », un davantage ou un nevermore.
Poésie pensive, méditative, que celle de Checchetto : elle peut prendre une allure de journal et de travail sur soi, la mémoire et les mots, dans la lenteur des « jours » : « pas à pas » (p.45), « nous en apprenons tous les jours un peu plus sur nous » (p.57). En même temps, c’est une poésie prise dans le poids du corps, la réalité des choses, l’environnement quotidien, l’élémentaire (notamment terre et air)… Cette poésie porte autant un « comment ça se pense ? » qu’un « comment ça se vit ? », et c’est bien ce qui nous la rend proche, directe, humaine. L’absence de « je » participe aussi à cela ; la première personne est relayée par un « nous » qui est tout sauf de majesté. Il inclut le « je » mais c’est un pluriel plein dont les contours restent libres, ouverts à l’interprétation : selon le contexte, on pensera au couple présent/absente, à un « nous » familial, aux endeuillés passés par la même expérience de la séparation comme « l’amie veuve » (p.29), ou « l’ami qui a perdu son fils » (p.24)…
Ce « centre du centre obscur de nous (…) qui nous (bloque) et nous (valdingue) simultanément » (P.30), voilà ce qui persiste durant ces « jours encore après ». Mais tout autant, l’auteur remarque les lucarnes qui s’ouvrent, l’évolution fragile qui se fait ; même si certaines voies, comme écrire, peuvent être ambivalentes, à la fois issues et obstacles, d’autres échappées ou aides sont possibles : les amis (p.38), le jardin, la vie de ces « six années » en « vite vitesse (qui) nous fait un peu d’air vide dans les tuyaux » (p.33)… Au bout, il convient moins d’être avec la mort que de se confier au temps, à la vie jusqu’à ce que s’ouvre à nouveau un avenir : « sans doute cela adviendra-t-il par hasard, par un heureux coup de dés de la vie en veux-tu en voilà encore » (p.64).
Et c’est bien à cette renaissance, à ce regain, auquel nous assistons dans les trois parties, plus courtes, qui alternent avec les deux parties plus sombres. Leurs titres sont révélateurs dans leur simplicité : « Soleil revient », « Soleil encore », « Aujourd’hui ». Ce poème d’une seule page, qui clôt le livre, sonne comme un présent retrouvé au terme d’un long chemin de deuil jusqu’à un futur vide mais ouvert : « aujourd’hui/qui sait pour demain ?/ nous allons poches retournées / dans les mains juste rien » (p.155). C’est la légèreté qui l’emporte, prend le devant de la scène et provoque un afflux d’images ensoleillées qui sonnent presque comme une joie d’enfant : « oui / les rires sont là dont les postillons font des arcs-en-ciel /(…) nous sommes encore dans notre temps, dans celui du chat sur la chaise, des crocus qui pointent le bout de leur nez, des étoiles qui filent, à qui nous confions des vœux qui nous font un sourire quand un soir ils s’accomplissent / et nous chantonnons alors en tapotant doucettement l’épaule de la vie qui passe la cinquième vitesse » (p.131). Le sombre reste en contrepoint, comme dans cette belle chute elliptique, « mais / néanmoins / cependant » (p.79), ou dans cet enchaînement au fragile sourire « nous tentons de ne pas trop nous mêler de nos oignons qui ne nous font des larmes que pour notre pomme » (p.134). On sent que le pas est gagné ; même si la page n’est pas tournée, on ne laisse plus le passé occuper le terrain de vivre : « on vit / on voit / cela n’empêche pas le cri d’être parfois là, /(…) néanmoins nous avons le temps d’apprendre à lutter, /(…) à l’avenir le cri devra rebrousser chemin et s’en aller voir si par hasard parmi les corbeaux il y est » (p.140).
[Antoine Emaz]
Rémi Checchetto, Jours encore après, Tarabuste éditeur, 160 pages, 14 €