Je vous l'ai dit en début de semaine, au détour d'une phrase de mon long bilan autour du festival de Cannes, j'ai été assez fortement déçu que "Deux jours une nuit" soit reparti totalement bredouille du palmarès de la résidente Jane Campion.
Et ma réaction fut d'autant plus étonnante que, lors des autres cérémonies de Cannes où un film des Dardenne était en compétition, j'étais souvent déçu...de voir que le film en question faisait partie du palmarès...
En effet, avant de voir ce deux jours une nuit, j'étais assez hermétique à ce cinéma là, comme je le disais notamment dans ma chronique du précédent film des Dardenne Brothers, le gamin au vélo. J'aime pourtant énormément,depuis bien longtemps, le cinéma social, celui de Ken Loach ou de Robert Gudégian, mais j'avais tendance à considérer que le cinéma des Dardenne, à force de trop verser dans un naturalisme social qu'ils revendiquent tant, restait toujours un peu sec et un peu froid.
Avec cette caméra à l'épaule balladée de façon permanente, ces plans séquences interminables et cette absence de tout effet (musique notamment), ce cinéma là me parraissait toujours un peu trop corseté pour me transporter d'émotion, malgré la force des sujets de départ de chacun de leur films.
Cela dit, le précédent film du duo, Le gamin au vélo marquait déjà une petite variante dans leur radicalité d'origine, dûe notamment à la présence d'une actrice connue (Cécile de France) dans leur univers auparavant presque toujorus composé d'acteurs amateurs ou débutants (ils ont notamment découvert d'immenses acteurs, notamment Emilie Dequenne, Olivier Gourmet, Déborah François).
Cette évolution, les Dardenne continuent de la creuser avec ces "Deux jours une nuit", qui là encore, fait intervenir non plus une actrice connue, mais carrément une star en la personne de Marion Cotillard, qui passe donc là des affiches de pub pour Dior (j'avoue, le contraste fut un peu rude lorsque je sorti de la salle en voyant la pub s'afficher en grand sur le mur en face du cinoche) à un habit d'ouvrière en usine, obligée de se battre pour ne pas se faire licencier.
"La" Cotillard incarne donc avec une crédibilité et un investissement qui forcent l'admiration (n'en déplaise à ses détracteurs) cette Sandra, licenciée au retour d’un congé maladie, dispose d’un week-end pour tenter de convaincre une majorité de salariés de renoncer à leur prime de 1000€ pour préserver son propre emploi, puisque tel est le marché - assez dégueulasse mais qui visiblement a déjà été utilisé dans certains pays- mis en place par la direction.
Avec un tel sujet, fort mais assez casse gueule, jamais je n'aurais cru que les frères Dardenne parviendraient à m'entrainer avec autant d'aisance dans le combat humain de cette femme, extraordinairement interprétée par Marion Cotillard, qui confirme une fois de plus son immense talent à ses nombreux détracteurs.
Les Dardenne vous donc nous plonger dans cette course contre la montre étalée sur un seul week end, une lutte aussi stressante qu’humiliante qui conduira Sandra à aller faire du porte à porte pour tenter de rallier ses collègues à sa cause, une cause loin d'être gagnée d'avance, les motivations pour refuser cette prime de 1000€ étant autant variées que justifiées (que ce soit pour régler la facture de gaz, compenser le chômage du conjoint ou bien encore payer les frais de rénovation de la maison..).
De ce fait, cette variété dans les motifs présentés et cette justesse dans la crédibilité de ses situations font que, contrairement à ce qu'on pourrait craindre (et contrairement à ce que j'ai lu ici et là), jamais le procédé de répétition de l'énoncé de départ ne m'a paru être redondant ou répétitif. En effet, l'on est tellement derrière- et avec- Sandra qu'on frémit avec elle à chaque fois qu'elle ouvre une nouvelle porte et qu'on redoute,comme elle un nouveau refus. Autrement dit, on est presque dans un thriller à suspens, ce qui est quand même bien nouveau pour un Dardenne, dont souvent l'intrigue manque de climax.
Un film à suspens certes, mais qui n'oublie pas pour autant de nous donner des indications sur cette société qui va toujours aussi mal, une société dans laquelle la solidarité a de plus en plus de difficultés à vaincre cet individualisme sans cesse grandissant. "Deux jours une nuit" illustre ainsi avec une grande acuité l’engrenage vers un système et une société, qu'on le veuille ou non, de plus en plus individualiste.
Comme je le disais au début de billet, il arrive que parfois, je considère que les drames sociaux et notamment ceux des Dardenne, se heurtent à l'écueil du manichéisme avec des personnages avec lesquels j'avais toujours un peu de mal à entrer en empathie car trop occupés à lutter, en dépit de certaines valeurs.
Or, en l'occurence, ces personnages m'ont paru être admirables de pugnacité, d'abnégation et de dignité face à l'adversité (mention spéciale pour le compagnon de Sandra, ainsi que le jeune footballeur sensible, dans une scène absolument poignante à la moitié du film), et on appréciera que même les patrons ne soient pas montrés comme des salauds complets, mais semblent eux aussi avoir une petite partie d'humanité, malgré leur souci de rentabiliser leurs boites à tout prix.
Et si le scénario m'a paru moins démonstratif que d'habitude, le film m'a plu également par l'évolution dans la mise en scène par rapport à leurs précédents films. En effet les dardenne ont (presque) tiré un trait sur les longs plans caméra à l'épaule qui suivent les personnages marcher quasiment sans s'arreter sans cesse, et ils ont également un freiné sur les plans sérrés pour oser aller s'aventurer parfois sur des plans larges qui donne un côté un peu plus aéré et moins oppressant que d'habitude. Et j'ai aussi beaucoup apprécié la fin, qui, là encore a contrario des autres films du cinéaste, laisse poindre un vrai espoir en notre société...
Bref, une oeuvre coup de poing sur notre société et optimiste en même temps, je prends sans hésiter et je conseille à tous les cinéphiles et tous ceux qui veulent prendre le pouls de notre société autrement que par le prisme du JT de 20H d'aller plonger dans ces "Deux jours une nuit" sans plus attendre...