La salle de Jean Nouvel
Serge Dorny reste donc à Lyon. En soi c’est une très bonne nouvelle. Pour lui c’est sans doute plus difficile. Après plus de 10 ans il est légitime d’aspirer à autre chose. La perspective de diriger un opéra historique comme celui de Dresde pouvait être d’autant plus intéressante que la programmation actuelle en est relativement médiocre si l’on excepte les quelques soirées dirigées par Christian Thielemann. L’aventure mort-née laisse un goût amer. Et le retour à Lyon s’accompagne probablement d’un désir d’ailleurs : comment pourrait-il en être autrement ?
Le spectateur que je suis profitera donc néanmoins de ces prochains mois avec gourmandise. Serge Dorny propose une des programmations les plus complètes et les plus intelligentes d’Europe. En cela, il est le digne successeur de Jean-Pierre Brossmann. Combien de metteurs en scène, combien de chefs sont passés à Lyon avant de connaître une gloire internationale ? Il suffit de penser à Kirill Petrenko ou à Kent Nagano.
Serge Dorny formé à l’école de Mortier a imposé un style, une esthétique puisant largement dans l’école allemande ; ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Et le public lyonnais, depuis longtemps habitué à des œuvres sans concession, public formé à l’école de Planchon, de Chéreau, un public qui va du TNP à l’opéra, de Villeurbanne à Lyon, fait bon accueil à ces productions, qui d’ailleurs ne sont pas toutes exceptionnelles et c’est bien normal, mais toujours d'un niveau plus qu'honorable au minimum. Quel opéra en France peut se targuer d’accueillir Peter Stein, Olivier Py, François Girard, Christophe Honoré, Yoshi Oida, La Fura dels Baus, Ivo van Hove ou de faire découvrir David Bösch ou David Marton ?
L’an prochain, dans une saison appelée « Au-delà du réel », nous reverrons La Fura dels Baus (Le Vaisseau fantôme), Christophe Honoré (Pelléas et Mélisande), David Marton (Orphée et Eurydice) qui signa un si beau Capriccio, Olivier Py (reprise de Carmen), David Bösch qui crée à Lyon Simon Boccanegra au début de ce mois de juin proposera l’an prochain Les Stigmatisés de Schreker, une production très attendue. Pour la première fois, Stephan Herheim présentera une production en France, sa Rusalka, déjà vue à Bruxelles et Barcelone, Martin Kušej (La Forza del Destino à Munich…) fera Idomeneo et Michel van der Aa créera à Lyon un opéra hyper technologique, Le jardin englouti, dans le cadre du festival désormais traditionnel dédié cette année aux jardins mystérieux.
Enfin, Jean Lacornerie, directeur du Théâtre de la Croix Rousse, élève et compagnon de route de Jacques Lassalle fera à la fois le musical de Broadway bien connu Le roi et moi de Rodgers et Hammerstein, et Roméo et Juliette de Boris Blacher, un compositeur peu connu, classé comme dégénéré par les nazis, spectacles tous deux présentés à La Croix Rousse.
Enfin comme chaque année en version de concert un opéra belcantiste de la première moitié du XIXème : Lyon commence un cycle Rossini avec la redoutable Semiramide dirigée par Evelino Pido’ avec Elena Mosuc. Mais cette année, en plus, Joyce Di Donato, prêtresse mondiale du bel canto notamment rossinien ouvrira la saison par un concert exceptionnel le 22 septembre 2014.
Comme il se doit la programmation propose quelques grands standards, des œuvres du répertoire moins connues, des chefs-d’œuvre totalement ignorés dans des propositions scéniques qui excitent la curiosité: l’opéra de Lyon reste l’un des meilleurs du monde pour l’innovation et le risque artistique.
Serge Dorny réunit aussi les équipes musicales cohérentes, jeunes, qui reviennent souvent à l’opéra de Lyon, et qui finissent par former une sorte de troupe ou tout du moins un groupe d’habitués. C’est l’occasion d’entendre de belles voix encore protégées du star-system, ou des chefs originaux , dynamiques, dont on commence à entendre parler. Ainsi dans l’ordre chronologique découvrirons-nous :
– en octobre 2014, Le vaisseau fantôme de Richard Wagner, dans une production de Alex Ollé (La Fura dels Baus) qu’il se situe non dans le Nord mais dans le lointain Sud dans les cimetière de bateaux du Bangladesh, restes rouillés de l’industrialisation occidentale. Le chef en sera Kazushi Ono. Simon Neal ( qui a chanté Oedipe de Georges Enesco à Francfort cette année) sera le Hollandais, Falk Struckmann Daland tandis que que Senta sera chantée par celle qui a stupéfié dans Erwartung, Magdalena Anna Hoffmann.
–En décembre 2014 et au tout début janvier 2015, Rusalka, de Dvořák, dans l’étourdissante mise en scène du norvégien Stephan Herheim, conte triste de la nymphe qui veut devenir mortelle et qui est victime de la méchanceté et de l’indifférence des hommes. La meilleure Rusalka du moment, Camilla Nylund, et le vaillant Dmitro Popov se partageront les principaux rôles tandis que Jezibaba sera interprétée par Janina Baechle. L’Orchestre est confié à Konstantin Chudovski, jeune chef russe qui commence a diriger partout en Europe.
–en décembre 2014 toujours mais au théâtre de la Croix-Rousse, Jean Lacornerie dans le cadre des spectacles jeune public présente et met en scène Le Roi et Moi de Rodgers et Hammerstein, le fameux music-hall de Broadway, dirigé par Karine Locatelli.
–En janvier-février 2015, Martin Kušej proposera Idomeneo de Mozart, dirigé par Gérard Korsten, bon chef pour ce répertoire, avec une jolie distribution Lothar Odinius, Kate Aldrich, Elena Galitskaya, et Maria Bengtsson (dans Elettra).
–En février-mars 2015 au théâtre de la Croix-Rousse Roméo et Juliette, de Boris Blacher, mis en scène de Jean Lacornerie et dirigé par Philippe Forget par le studio de l’Opéra de Lyon, occasion de découvrir un compositeur peu connu qui fut le maître de Gottfried von Einem ou d’Aribert Reimann.
– Du 13 au 29 mars 2015, le Festival annuel dédié cette année aux Jardins mystérieux avec trois opéras, un opéra du répertoire, un opéra jadis classé dans les dégénérés et qui revient sur les scènes désormais relativement régulièrement et une création.
- Les Stigmatisés (Die Gezeichneten) de Franz Schreker (1918), À voir absolument dans une mise en scène de David Bösch dirigé par le jeune et talentueux Alejo Perez, et avec une belle distribution, Charles Workman, Magdalena Anna Hoffmann, Simon Neal, Markus Marquardt.
- Orphée et Eurydice de Gluck, mise en scène de David Marton, dans la version de Vienne dirigée par Enrico Onofri, spécialiste du baroque et compagnon de route du Giardino Armonico et de Giovanni Antonini, avec un Orphée masculin, Christopher Ainslie (et son double Franz Mazura, qui aura alors 91 ans) et Elena Galitskaya en Eurydice.
- Le jardin englouti de Michel Van der Aa, présenté au TNP de Villeurbanne en coproduction avec l’English National Opera et le Toronto Festival of Arts and Culture, dirigé par Etienne Siebens, qui travaille avec Michel van der Aa et participe à de nombreux projets contemporains, avec notamment Roderick Williams , Katherine Manley et Claron McFadden. Un opéra phénomène, réel, virtuel, digital
–fin avril et mai 2015 : reprise de Carmen dans la mise en scène discutée d’Olivier Py, et avec une tout autre distribution, sans doute meilleure que la première série, Kate Aldrich (Carmen), Arturo Chacon-Cruz, qui fut Werther À Lyon dans la mise en scène de Rolando Villazon, Jean-Sébastien Bou dans Escamillo (Claude l’an dernier) et Sophie Marin-Degor dans Micaela. L’orchestre sera dirigé par Riccardo Minasi , spécialiste du répertoire baroque qui succède au pupitre à un autre spécialiste du baroque, Stefano Montanari.
–en juin dernier opéra de la saison, last but not least, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, dans une mise en scène très attendue de Christophe Honoré qui fait un lien entre Mélisande et Phèdre, dans une intéressante distribution réunissant Bernard Richter, Hélène Guilmette, Sylvie Brunet-Grupposo, Vincent Le Texier et Jérôme Varnier, dirigé par Kazushi Ono.
Voilà une saison au total très stimulante, qui excite la curiosité et va élargir la connaissance du répertoire. Face à une saison de l’Opéra de Paris particulièrement terne, le seul conseil qu’on puisse donner aux parisiens est de prendre un abonnement TGV et un abonnement à l’Opéra de Lyon, car pas une production n’est à négliger. Dresde a beaucoup perdu et, pour cette année encore, Lyon reste gagnant.