AMANDINE CAILHOL 28 MAI 2014
En septempbre 2013, des membres de la Confédération paysanne avaient déjà mené une action de protestation contre la ferme des 1000 vaches. (Philippe Huguen. AFP)INTERVIEW
Porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel a participé ce mercredi matin à une opération de démontage de la «ferme des 1 000 vaches», près d’Abbeville (Somme), menée par une cinquantaine d’agriculteurs.
«Venus de toute la France», ces militants se battent depuis près de trois ans contre le projet de ferme usine, symbole d’une
«agriculture qui fera disparaître les paysans». Quatre d’entre eux étaient toujours en garde à vue mercredi après-midi. Des manifestations de soutien aux interpellés étaient en cours un peu partout en France. Laurent Pinatel a lui aussi été interpellé ce mercredi après-midi, sur le quai de la gare d’Amiens, alors qu’il retournait soutenir les interpellés.A quelques semaines de la première traite − annoncée pour le 1
er juillet −, Laurent Pinatel dénonce le manque de volonté du gouvernement pour empêcher ce projet.
Le tribunal administratif d’Amiens a rejeté la demande des opposants de suspendre le permis de construire de ce projet. L’action d’aujourd’hui est-elle celle de la dernière chance ?
Non, le combat est loin d’être terminé. Certes, notre recours a été rejeté le 12 mars par le tribunal administratif, mais nous avons depuis saisi le Conseil d’Etat. En parallèle, Michel Ramery, l’industriel propriétaire du site, a également demandé un permis rectificatif. Preuve qu’il sait très bien, lui aussi, que sa construction, non conforme au permis initial, n’est pas légale. Nous attendons aussi que le gouvernement se positionne clairement sur le dossier. L’usine des 1 000 vaches est emblématique de l’industrialisation de l’agriculture et de ses dangers. Dans la région, en Picardie, des centaines de jeunes agriculteurs sont à la recherche de quelques hectares de terres pour faire du maraîchage.
(Photo AFP)Michel Ramery, lui, va pouvoir utiliser 3 000 hectares pour son projet. C’est scandaleux! Si l’on venait à multiplier les projets de ce type, on passerait de 78 000 fermes laitières à seulement 2 400 en France. La question est donc de savoir si le gouvernement est prêt à cautionner un tel modèle. Est-ce là la politique de François Hollande? Rappelons que le président de la République vient de Corrèze, un département qui abrite une partie du plateau des Millevaches. Si le nom est le même, le modèle agricole expérimenté là-bas par les paysans n’a rien à voir avec celui de Michel Ramery. Sur ce territoire oublié de tous, l’agriculture paysanne a réussi à dynamiser toute une région. Grâce au travail des paysans, la vie reprend, l’emploi aussi, les bistrots ouvrent à nouveau. Mais François Hollande ne semble pas privilégier cette voie.
Ces deux modèles ne sont-ils pas compatibles ?
La question est d’abord de savoir si nous avons vraiment besoin d’une agriculture industrielle pour nous nourrir. La réponse est non! Nous refusons cette dualité, pour la simple raison qu’on ne produit pas de la nourriture comme on fabrique des pièces de bagnoles! Aujourd’hui, on nous vend la compétitivité comme principal objectif, mais encore faut-il bien la définir. Pour nous, être compétitif, c’est d’abord créer de l’emploi et de la valeur ajoutée. Le modèle industriel, celui qui exporte du lait en poudre aux Chinois, est à l’opposé de ces enjeux. Malheureusement, c’est aujourd’hui encore ce schéma qui est mis en avant par les autorités.
Pourtant le gouvernement parle plus que jamais d’agroécologie…
Le discours sur l’agroécologie de Stéphane Le Foll est séduisant. Le ministre de l’Agriculture plaide pour une réduction des produits phytosanitaires, pour plus d’agriculture biologique. Le problème, c’est qu’il fait exactement l’inverse dans les faits. Les derniers arbitrages rendus dans le cadre de l’application française de la Politique agricole commune (PAC) en sont la preuve. En décidant par exemple de fixer le seuil d’éligibilité
pour percevoir l’aide couplée à la vache allaitante au-dessus de 10 animaux – contre 3 proposé par la Confédération paysanne − le gouvernement a fait le choix de privilégier les grandes exploitations. Or, ce sont les petits paysans qui ont le plus besoin de ces aides, ceux qui travaillent sur des territoires difficiles, en montagne par exemple, et qui contribuent à la dynamique des territoires.De manière globale, les grandes exploitations sont sursubventionnées. Le plan de modernisation des bâtiments d’élevage prévu par le second pilier de la PAC, qui subventionne la robotisation et l’agrandissement des fermes, va renforcer cette logique. Nous dénonçons la mauvaise orientation des 10 milliards d’euros que représente la PAC qui devraient servir, au contraire, à impulser une nouvelle politique agricole. De manière générale, il y a un manque de cohérence entre le discours du gouvernement et ses actes. Je crains qu’il soit à bout de souffle, sans réels projets agricoles. Un changement de cap est urgent. S’il n’a pas lieu, nous allons continuer à nous énerver. L’action d’aujourd’hui en appelle d’autres.
Amandine CAILHOL