Je comprends que le jury ait élu le roman de François d'Epenoux. Il mérite de recevoir le 44ème Prix de la Presse, créé en novembre 1970. Dommage que la coutume n'ait pas été instaurée que ce soit le gagnant de l'année dernière qui honore celui de l'année nouvelle car Agnès Ledig l'aurait fait avec un large sourire. D'ailleurs c'est elle qui présente le livre sur cette photo. Elle vient de terminer son prochain qui paraitra toujours chez Albin Michel, en octobre 2014.
Juste avant le bonheur est dans la même veine que le Réveil du coeur. Et on peut lui prédire un succès comparable avec, je crois, 130 000 exemplaires ... pour le moment.
François d'Epenoux écrit dans une langue soignée mais ultra vivante, aérée de parenthèses qu'il ouvre pour s'adresser à un de ses personnages (le Vieux surtout).
Ce qu'il nous raconte du monde de la pub sent le vécu à plein nez. C'est normal, il y bosse. J'y ai navigué quelque temps et je constate que les crabes sont toujours féroces dans le panier.
Son lectorat peut être heureux que les nuits blanches de charrette sous les néons (j'ai failli écrire néants) n'empiètent pas méchamment sur sa (double) vie d'écrivain. Comme on se régale à le lire !
Après le monde du travail, c'est celui de la vie de couple qui en prend pour son grade. Il témoigne finement du désamour, avec tendresse et émotion. Il analyse les nouveaux rapports de séduction avec mordant mais sans caricaturer. Et puis surtout le sens qu'on donne à sa vie, à la vie en général et à celle, en particulier, de l'enfant qu'on s'apprête à mettre au monde. Et quel monde, là est bien la bonne question.
C'est le Vieux qui lui met la puce à l'oreille mais l'interrogation est assez féminine il me semble. Je me revoie, en pleine annonce de la guerre du Golfe, téléphoner à l'imprimeur pour lui demander de stopper les faire-parts de naissance de mon ainée. J'avais fait reproduire pour la double page centrale un dessin du Petit Prince s'envolant, tiré par une horde d'oiseaux, et pour la première page un extrait du dialogue de Saint Exupéry :- Que me conseillez-vous d'aller visiter ?- La planète Terre, répondit le géographe. Elle a bonne réputation.
La citation complète ne "passait "plus. Nous avons supprimé "elle a bonne réputation". Un an plus tard, plus sobrement encore, ce fut cette autre phrase, toujours inspirée de Saint Ex pour annoncer l'arrivée de son frère : vous imaginez ma surprise au lever du jour quand une drôle de petite voix m'a réveillée.
C'est vrai que tout adulte un peu responsable s'interroge sur le sens à donner à la famille en souhaitant pour son enfant qu'il soit plus heureux qu'un glaçon dans l'eau (p. 96) parce que les poissons ... François d'Epenoux a quatre enfants. On peut lui faire confiance sur l'art du bonheur en kit pour meubler le living et la conversation (p. 67).
Après avoir laissé Jean s'épancher, l'auteur laisse s'exprimer le Vieux en direct. Cela a tout de suite été une évidence pour moi que c'était celui qu'on avait laissé à la fin du film Deux jours à tuer, tiré de son livre éponyme (paru chez Anne Carrière en 2001) et adapté au cinéma par Jean Becker. Eric Assous avait rédigé la première partie du scénario mais François d'Epenoux avait écrit la seconde partie, très différente du livre, en créant le personnage du père. Pierre Vaneck en faisait un ours positif qu'on avait envie de retrouver.
S'il dit de lui qu'il est un vieux con qui râle tout seul dans son coin, on ne peut pas être d'accord pour valider la description. Il est touchant quand il exhorte son fils à tenter la douce poésie du quotidien, quelque chose de ténu, de douillet, de précieux.
C'est un personnage essentiel, pas si brut de décoffrage qu'il y parait. Sa philosophie est solide : Ne jamais avoir à regretter de ne pas avoir tout tenté. Ne pas réussir, ce n'est rien, tant qu'on n'a pas essayé.
Je n'ai vu ni misanthropie ni gouffre générationnel. Nombre de bobos s'accorderaient à la perfection avec lui et je partirais illico dans sa maison de bois au bord de l'étang de Lacanau. Au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture je me voyais en vacances.
Les dialogues entre père et fils sont de vrais échanges. L'un et l'autre vont évoluer. Entre les deux, l'enfant, Malo, sera plus que le catalyseur de la relation. Les personnages féminins sont plus estompés mais cela ne gêne en rien le plaisir que l'on prend à cette lecture.
L'essentiel concerne la transmission qu'un grand-père peut offrir en héritage à son petit-fils, toutes ces choses qu'on n'enseigne plus, ou mal, l'observation d'un monde en sursis, avec un regard un peu désenchanté mais réaliste.
L'enfant apporte la fraicheur, ravive un optimisme qui couvait sous les souvenirs, et le réveil du coeur devient mutuel dans les deux sens, dans le respect des sensibilités respectives.
François d'Epenoux croque notre monde, présent, passé et à venir avec drôlerie et un zeste de provocation. Son livre est un devoir impératif de vacances. Mais il n'est pas interdit de le lire avant ... pour se préparer à voir la vie sous un autre angle comme d'autres préparent leur peau au soleil en avalant des capsules de carotène.
Dominique Gil, le président du Syndicat des Dépositaires de presse qualifie ce roman comme "le rayon de soleil de l'année" et par voie de conséquence le best-seller de l'été.
Philippe Labro était le président du jury cette année. Il a loué le potentiel du Réveil du coeur à émouvoir et passionner le grand public qui, à ses yeux est la seule cible qui vaille l'a peine. Il a salué la compétence de l'auteur à construire un trésor de dialogues en prenant si brillamment le relai de son père, Christian d'Epenoux, qu'il a bien connu comme journaliste à L'Express.
François d'Epenoux s'est montré très heureux et très fier de cette récompense en remerciant les votants et en la partageant avec toute sa famille et sa maison d'édition, à laquelle il est fidèle depuis déjà presque 20 ans.
Sans nous faire un discours digne de la remise d'un César on le sentait touché par la bienveillance qui l'entourait. Son éditrice, Anne Carrière, à gauche sur la photo, peut se réjouir de l'avoir dans son écurie. Et François peut être rassuré : son coeur va palpiter avec nous.
Beaucoup d'écrivains étaient présents ce soir. Comme Dominique Dyens (lisez la Femme éclaboussée), Frédérique Deghelt (qui concourrait avec les Brumes de l’apparence, publié chez Actes Sud et dont je vous parlerai bientôt. En attendant je recommande La vie d'une autre).
Et Lorraine Fouchet, qui reçu ce prix en 2003, pour l'Agence, publié chez Robert Laffont, réédité par j'ai lu. Elle résume bien les enjeux de cette récompense : un rêve absolu. On ne vous offre ni argent ni médaille, mais une mise en place spéciale dans les Maisons de la Presse, donc des lecteurs en plus, un superbe cadeau pour un écrivain !
J'ai commencé à découvrir son dernier livre, J'ai rendez-vous avec toi, paru chez Héloïse d'Ormesson et que je vous présenterai lui aussi bientôt.
Le réveil du coeur de François d’Epenoux chez Anne Carrière, janvier 2014