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Paris, mercredi 18 décembre 2013. L'automne finissant laisse filtrer les derniers rayons du soleil sur les toits de Paris en cette fin d'après-midi qui ressemble à s'y méprendre à toutes les autres. Il paraît que c’est bientôt Noël mais ça ne se voit guère. Mes congénères grimpent dans le bus sans un regard pour leurs voisins, dehors les automobilistes klaxonnent, les deux roues énervés zigzaguent, les marcheurs à la trajectoire aléatoire (en général, ils foncent droit sur vous sans vous voir) pianotent des messages textes, les touristes lèvent les bras au ciel pour ajouter des photographies qui, peut-être, ne seront jamais exhumées des profondeurs numériques de la mémoire de leur téléphone portable. Du côté du Boulevard de Sébastopol, les motards de la police nationale se frayent un passage dans les embouteillages pour conduire un bus vers une destination inconnue. Rue du Faubourg Saint Denis, des restaurants à la propreté approximative et aux clients encore rares sont collés les uns aux autres ; en traversant le Passage Brady, l'Inde locale tend ses menus pour nous vendre le meilleur, soi disant beaucoup mieux que celui du voisin pourtant jumeau. Ma préférence ira pour un bœuf à la ficelle, du côté de la Cour des Petites Ecuries. Chacun ses goûts...
Pourquoi je vous raconte tout ça, au fait ? Ah oui... je me souviens ! Mercredi dernier, dans la précipitation d’une décision prise in extremis, que dis-je, in extremigre... euh, non, in extreBigre ! j’ai préparé ma mallette d’urgence – sac en bandoulière équipé de sa ration vestimentaire de survie - juste avant de grimper dans un TGV hors de prix – pardonnez-moi ce pléonasme - pour rallier Paris et la rue des Petites Ecuries, là où se trouvaient mon hôtel et... quelle coïncidence, le New Morning ! Si les abords du lieu ne sont guère engageants – l’idée de propreté n’est pas de celles qui vous gagnent au moment où vous attendez entre deux containers odorants qu’on veuille bien vous ouvrir la porte, juste avant de vous expliquer qu’il faut ressortir parce qu’on vous a laissé entrer par erreur – force est de reconnaître que cette salle exhale un petit parfum festif fort agréable.
Au programme : Bigre ! et ses dix-neuf musiciens d’implantation lyonnaise, l’une des émanations du bouillonnant Grolektif, menée de main de maître par le trompettiste Félicien Bouchot, principal compositeur et arrangeur avec le saxophoniste Romain Dugelay. Bigre !, trois albums au compteur (et même quatre si on compte Bigre ! & N Relax) dont les deux derniers, Tohu Bohu et Les icebergs aussi ont reçu du côté des Citoyens l’accueil qu’ils méritaient. Bigre ! L’idée aussi et surtout que le jazz est une fête, que la musique, pour savante qu’elle soit, doit transpirer, respirer, souffler le chaud et le chaud. Bigre ! et son savant mélange des genres, ses parfums variés qui vont des Balkans à l’Amérique Latine, son jazz mâtiné de funk, de soul, de blues électrique ; ses solistes lunaires comme autant de furieux soldats d’un combat pacifique et jouissif. Bigre ! C’est l’énergie à tous les étages, c’est une alliance des générations capable de rallier à sa cause une audience rajeunie (on déplore trop souvent le vieillissement du public jazz pour ne pas souligner ce fait ; mais en écrivant cela, je pense aussi à certains jeunes aux oreilles endormies qui s’obstinent à croire que le jazz est une musique ringarde destinée aux vieux), c’est une manière d’être sérieux (et croyez-moi, quand il tourne à plein régime, ce big band n’amuse pas le terrain) sans se prendre au sérieux. Avec cinq saxophones, quatre trombones et quatre trompettes (ou bugles), il faut aussi dire que côté souffle, cet ensemble grand format en impose d’autant plus qu’à l’arrière des troupes, la propulsion est assurée par une rythmique grouillante qui ne compte pas moins de trois percussionnistes. Tout ce grand monde a réussi à se faufiler sur scène non sans une habileté qu'exige l'exiguïté de fait des lieux pour un concert en deux temps : le premier set est avant tout l’occasion de revenir sur Les icebergs aussi, tandis que le second est annonciateur du prochain disque, à paraître au printemps prochain et qui, si mes informations sont exactes, devrait s’appeler To Bigre Or Not To Bigre. Pour le final, il aura fallu encore se serrer un peu plus, avec l’arrivée au chant de Clyde Rabatel, Célia Kameni et Thais Lopez De Pina. Avec eux, on pousse les tables, on se lève, on fait danser les peluches récompenses (lisez un peu plus loin, vous comprendrez). Le temps passe vite, trop vite, voilà qu’il est déjà 23h30 : la fête sera bientôt finie.
Au risque de confronter le groupe à un conflit d’intérêt, j’ai participé à la tombola Bigre (j’en avais déjà connu une version assez délirante l’année dernière au Périscope de Lyon, les musiciens ayant eux-mêmes assuré l’approvisionnement en cadeaux les plus improbables qui soient). Mercredi, le groupe offrait des peluches animales (suite à une confusion rigolote entre bigre et tigre) : tigres donc, mais aussi lions, panthères et serpents... aux vainqueurs ! Pourtant porteur du ticket numéro 1 (ce qui, on va le comprendre, n’est en rien un avantage), je suis rentré bredouille, m’épargnant peut-être le spectacle du provincial un peu ridicule déambulant dans les rues et le train en encombrante compagnie. On ne pourra pas accuser mon propre fils – chargé d’interpréter le rôle de la main innocente – d’avoir voulu favoriser son père, et avec le recul, je lui suis infiniment reconnaissant d’avoir laissé à d’autres le privilège d’une propriété risquant de compromettre définitivement ma réputation de blogueur irréprochable... N’empêche... Le hasard réserve de sacrées surprises : imaginez-vous qu’il m’a fallu, de mon côté, tirer au sort parmi les différentes captations vidéo réalisées au moyen de mon petit télépomme. Et que le film gagnant, assez bref, est celui qui met en scène mon rejeton - un certain Pierre Desassis - en pleine exécution d'un chorus au saxophone alto. Nous sommes au début du second set et les dix-neuf Bigre ont attaqué par « Timba Para Los Gringos ».
Mais bon... avec ces quelques 104 secondes, vous pourrez vérifier que je n’ai rien inventé et qu’il régnait bien une ambiance chaleureuse du côté du New Morning ; un peu comme si nous avions vécu une soirée de Noël avant l’heure. J’ignore quand je pourrai revoir Bigre ! sur scène, à Paris, à Lyon ou ailleurs, mais sachez que je suis d’ores et déjà impatient.
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