J’avais lu çà et là que ce livre était difficile, qu’il fallait le poser de temps en temps pour reprendre sa respiration…c’est vrai, tellement vrai.
Sorj Chalandon nous emmène au cœur du Beyrouth des années 80 dans le conflit israélo-palestinien. Rien que ça, ça donne le ton. Si le prologue nous plonge de suite dans l’ambiance de la guerre, les premiers chapitres nous présentent les protagonistes : Georges, le rebelle, l’étudiant en histoire et militant activiste pro-palestinien & Samuel, son ami Grec et juif, plus posé et qui a un rêve : faire jouer Antigone de Anouilh sur la ligne verte qui sépare Beyrouth, avec des acteurs de toutes les religions. Sam tombe malade et son ami Georges s’embarque dans cette aventure pour lui. Il part à Beyrouth, laisse sa femme et sa fille à Paris et va côtoyer les différentes nationalités du conflit, réussir à réunir chaque acteur avant que la guerre ne déchire le ciel et les êtres. Georges va s’enfoncer de plus en plus dans cette guerre, prendre certains partis et bien entendu ne peut en sortir indemne…tout comme le lecteur de ce livre.
Au début, je n’étais pas tellement attirée par l’intrigue et cette volonté folle de faire jouer Antigone dans un pays en guerre, réunir des acteurs de toutes les religions, pour le temps d’une représentation « faire la paix ». Je me disais, un peu comme certains protagonistes de l’histoire, à quoi bon ? Des personnes en guerre n’ont pas la tête à cela, c’est bien une idée de personnes qui ne vivent pas la guerre. Et pourtant, j’ai compris que la volonté de mettre en place cette pièce allait bien au-delà et forçait les gens à se parler, voire même à s’aimer. Et c’est d’ailleurs ainsi que Jean Anouilh avait revu la pièce en la faisant jouer en 1944 pendant l’Occupation.
Ce livre nous emmène donc doucement mais sûrement au cœur de la brutalité des hommes, des corps violés et massacrés et aucune religion, nationalité n’est épargnée. Il n’y a pas de gagnant/pas de perdant, juste l’absurdité et la violence des hommes. « Tout le monde est responsable de la guerre ». Ce livre est un livre « coup de poignard », il vous prend, vous met les larmes aux yeux en quelques lignes, vous donnerait presque la nausée.
Mais ce n’est pas un livre que sur la guerre, c’est également un livre évoquant la difficulté des hommes qui ont vécu la guerre, de rentrer dans un pays en paix. Le retour brutal de Georges auprès de sa femme et de sa fille, son incompréhension pour les désaccords futiles des gens en paix le font chavirer. L’appel de la guerre et sa violence, le besoin de revoir ces gens, une dernière fois peut-être sont plus forts que lui. C’est également un livre profondément riche en littérature. L’Antigone de Sophocle a été historiquement revisitée par Jean Anouilh, elle l’est encore par les chrétiens, les chiites, les druzes, les sunnites…et les réflexions qui en ressortent sont très intéressantes.
Bref j’ai tout aimé dans ce livre, il m’a fait plonger dans différentes émotions très fortes en quelques secondes. Son titre, que l’on comprend si on a fait du théâtre est revisité à la fin. Quelle beauté, quelle cruauté, quel livre ! J’ai aimé le finir et devoir relire le prologue pour le revivre. J’avais même envie de tout relire car je crois que c’est un livre tellement riche, tellement profond qu’il mériterait largement une deuxième voire une troisième lecture. Bravo Mr Chalandon, un prix Goncourt largement mérité, un livre à faire vivre et circuler…
Une lecture que je partage avec beaucoup de plaisir avec la jolie Sophie.
"La guerre c'était ça. Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce."
"Le chien reste un chien, Georges. Même élevé par les moutons. Tes acteurs ne sont pas des acteurs, ce sont des soldats. Toi tu ne le sais pas, mais la guerre s'en souvient."
"Il fallait que je me calme. Deux femmes se faisaient la guerre pour une friandise, un dimanche de paix."
"J'avais hurlé qu'ailleurs dans des berceaux, des bébés avaient eu la gorge tranchée. Que des enfants avaient été hachés, dépecés, démembrés, écrasés à coups de pierres. Et ma fille pleurait pour une putainde glace? C'était ça, son drame? Une boule de glace tombée d'un cornet de biscuit? Les misères de la paix me dégoûtaient"