Avez-vous peur que le ciel vous tombe sur la tête, que la nuée s’abaisse, que, le nez retroussé vers la voûte céleste, vous aperceviez les stratus, cumulus et cumulonimbus de plus près, qu’ils vous englobent, vous plongent dans les ténèbres et l’humidité d’une pluie éternelle ? À l’instar d’Abraracourcix, le célèbre chef gaulois, vous devriez peut-être !
Par hasard, ces jours derniers, un encadré dans un numéro de la revue Science et Vie* a attiré mon attention. Au cours de la décennie 2000 à 2010, l’altitude moyenne des nuages a diminué d’une quarantaine de mètres. Fruit de l’analyse des données du satellite Terra par Roger Davies, chercheur à l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, cette curieuse observation peut paraître banale, puisque 40 sur une altitude de 1000 mètres (l’altitude des stratus, les nuages les plus bas) se traduit en une ridicule altération de 4 % sur dix ans. Le phénomène est encore mal compris, donc virtuellement imprévisible, pourrait donc s’accélérer. Il serait dû à la raréfaction des nuages de haute altitude, en raison de… devinez quoi : du réchauffement du climat. Voici l’explication du Dr Davies :
« La plupart des nuages sont formés par les mouvements ascendants de la circulation atmosphérique, qui repose en partie sur la différence de températures entre l’équateur et les pôles. Or, jusqu’à maintenant, les hautes latitudes nord ont connu un réchauffement plus prononcé que les régions équatoriales, rendant cette différence de température plus faible. »
Et une différence plus faible de la température implique une formation moindre de nuages. Cet affaissement du couvert nuageux n’est pas sans conséquences, ni avantages. En effet, un nuage dont l’altitude est faible élève sa température. Et plus sa température s’élève, plus il évacue de l’énergie dans l’espace, s’opposant ainsi au réchauffement climatique. Une riposte de la nature !
Alors, pourquoi s’énerver ? Un proverbe français ne propose-t-il pas que « le ciel est haut, la terre est basse ; il n’y a que la table et le lit qui soient à la bonne hauteur. » En vérité, ceci tombe sous le sens tant et aussi longtemps que le ciel et la terre ne se rejoignent pas. Or, à ce rythme, dans 250 ans, nous sillonnerons les stratus en foulant le sol ! Nous avons le temps d’y penser, ou de nous y faire.
Les amateurs de science-fiction se souviennent sans doute de Blade Runner, un film interprété par Harrison Ford et mis en scène en 1982 par Rick Deckart. Un film noir sur les androïdes, un film qui questionne notre humanité. L’action se déroule en 2019, dans une Los Angeles ensevelie dans les nuages et la pluie. Le soleil n’y apparaît qu’à la toute fin, un rai de lumière en guise d’espoir. Il y a toujours du bleu derrière les nuages.
Comme vous, sans doute, je n’aimerais pas vivre dans un monde de ténèbres et d’humidité perpétuelles.
Le dernier hiver québécois fut interminable. Notre humeur en a souffert, ne s’en est pas encore remise. Aujourd’hui, toujours, le printemps arrive pourtant, chaque année, égayant nos vies et nos espérances. L’écrivain et poète français Paul-Jean Toulet écrivait : « Il y a des pluies de printemps délicieuses où le ciel a l’air de pleurer de joie. » Pour la renaissance de la vie, pour le réchauffement de notre peau, et de nos cœurs.La couverture de nuages s’abaisse, signal qu’un changement de climat s’opère. Nous sommes encore loin du couvert permanent, mais le ciel s’assombrit. Sans volteface, les bouleversements seront inéluctables, et le dénouement, imprévisible.
Pour l’heure, goûtons chaque rayon qui nous caresse. Que par Toutatis, nous préservions la vie et y ajoutions de la poésie. Car, pour citer le poète Henri-Frédéric Amiel : « la vie sans poésie et la vie sans infini, c’est comme un paysage sans ciel : on y étouffe. »
* Science et Vie, numéro 1136, mai 2012, p.28
Pour les curieux : Roger Davies et Matthew Molloy, Global cloud height fluctuations measured by MISR on Terra from 2000 – 2010, Geophtysical research letters, vol. 39, L-3701, 2012
© Jean-Marc Ouellet 2014