Second billet consacré à François Bourgeois. Il est au pied du
mur. Le changement comme si vous y étiez…
A quoi ressemble la société dont vous prenez les commandes ?
C’est le premier éditeur professionnel de Belgique, filiale d’un
groupe international. Son chiffre d’affaires est de 120 m€, dont 100 d’abonnements
à des ouvrages essentiellement de droit social et fiscal. Les 20 autres sont
tirés d’activités de formation et de la vente de software pour experts
comptables. La société compte environ 850 salariés. Elle résulte d’acquisitions
passées et qui n’ont jamais été vraiment intégrées.
Ses difficultés sont profondes et portent sur l’ensemble des
dimensions de l’entreprise : inadaptation de l’offre aux besoins des clients,
retard sur le online publishing, forts taux d’attrition résultant d’une
politique commerciale « hit and run », désorganisation de la supply chain et
délais majeurs de production, faiblesse des outils (12 systèmes interconnectés
émanant d’acquisitions passées et jamais intégrées).
En termes financiers, le CA est stable mais des augmentations tarifaires
massives et intenables à terme masquent une décroissance organique annuelle de
plus de 10%... Les coûts explosent, et bien que la société soit toujours « in
bonis », plus de 50% de l’EBIT a été perdu en 2 ans, et sa chute promet
d’être exponentielle !
Que trouvez-vous en arrivant ?
Ces diagnostics sont bien sûr posés depuis longtemps et de
nombreuses initiatives ont été demandées par mon prédécesseur à l’ensemble des
départements de l’entreprise. Faute de suivi et d’arbitrages, celles-ci
s’étiolent et les équipes perdent confiance. Il a en outre engagé un plan de
départs volontaires… négocié en une demi-heure en acceptant toutes les demandes
syndicales, ce qui en a fait le 2ème plan collectif le plus cher de l’histoire
sociale belge ! Il ne l’accompagne d’aucun suivi organisationnel. En
conséquence le 31 juillet la moitié des équipes de production quitte
définitivement l’entreprise, l’autre moitié est en vacances et la société ne
produit donc plus et ne facture que 25% de son objectif mensuel en août… Ça ne
s’invente pas…
Je trouve donc à mon arrivée la société en état de crise, et
l’impatience des équipes n’a d’égale que celle de l’actionnaire ! La
pression est forte d’agir il faut stopper l’hémorragie et préserver le court
terme, tout en engageant un travail de fond pour redresser la situation de
façon durable.
Un point très positif, essentiel même : je suis accueilli
par un Comité de Direction compétent, motivé et en attente d’un leader pour trancher,
arbitrer et porter des décisions difficiles. Au sein des équipes que je
rencontre toutes rapidement, je perçois également une réelle motivation de
progrès.
Paralysie. Ça a l’air inextricable. Que faire ?
Dans un premier temps, des mesures ponctuelles : il faut profiter
de mon arrivée pour apporter des solutions financières de court terme et
recréer une confiance et une dynamique de progrès. J’engage donc un plan de
réduction très significative des coûts de structure et coupe, avec le Comité de
Direction, toutes les dépenses inutiles.
J’engage également un dialogue franc et ouvert avec les
représentants du personnel, dûment et régulièrement informés de la situation de
l’entreprise et des actions que nous engageons.
Enfin, nous établissons un plan structurel, baptisé « Metaplan »
pour illustrer l’intégration et la coordination en une seule démarche des
nombreuses initiatives prises dans les départements. Le Metaplan consiste à
identifier, direction par direction, les modifications à apporter aux process
et outils opérationnels quotidiens pour permettre une baisse significative des
coûts : coûts de structure et de fonctionnement, coûts salariaux. Cette refonte
des process reste toutefois guidée par les progrès à réaliser dans tous les
domaines pour permettre le retour à la croissance organique. L’ensemble des
travaux, compilé par les consultants qui ont également traité les
interdépendances et la cohérence de l’ensemble, a permis la présentation d’un
plan stratégique comprenant un plan social de 146 équivalent temps plein étalé
sur 6 trimestres et identifié à l’unité et au trimestre près par direction. Ce
plan était suivi d’actions clairement identifiées permettant une relance
complète de l’activité : simplification de l’offre, innovation par la
migration numérique des produits, relance commerciale et refonte des SI.
Donc, maintenant vous avez un plan. Et après ?
La première étape a consisté à présenter le plan et son volet
social aux représentants du personnel et à l’ensemble des équipes et de leur
management, puis à engager la négociation sociale. En parallèle se mettaient en
place les projets de migration numérique et les travaux de MOA de la refonte
des systèmes informatiques qui constituait un élément essentiel de la
faisabilité du plan.
Après cette première phase d’environ 6 mois, la mise en œuvre
proprement dite s’est articulée en 6 projets suivis par le Comité de Direction
et coordonnés par un PMO qui m’était directement rattaché. Ces projets étaient
: la refonte de l’offre éditoriale avec la suppression d’un tiers des
références produites et un programme de standardisation des produits en 13
références pré-identifiées ; la migration vers le online publishing ; la
création d’une Direction commerciale et la révision de la politique commerciale
(segmentation des clients) ; le développement des softwares comptables vers des
fonctionnalités de workflow ; la mise en place d’un SI unique SAP ; la refonte
et la renégociation des conditions de rémunération variable.
Ces projets faisaient l’objet de points d’avancement
hebdomadaires (en CoDir) et mensuels (avec l’actionnaire et avec le CE). Il ont
été, c’est primordial, largement présentés et relayés auprès du middle
management et des équipes « terrain ».
Résultat ?
Le Metaplan a été présenté à l’ensemble des personnels, qui y
ont retrouvé certaines de leurs initiatives. Son caractère 360°, sa précision
concrète et les réponses qu’il apportait à l’ensemble des problèmes vécus par les
équipes a permis son acceptation et a facilité la négociation du plan social
qui en était la première et plus difficile étape. L’actionnaire a accepté le plan
qui comprenait pourtant de nombreux risques d’exécution, politiques et
financiers.
Les projets ont été réalisés sans dépassement de budget mais
avec un léger retard (principalement dû à la partie « progiciel de gestion »).
Et l’ensemble des équipes s’est remise au travail et a abandonné les
innombrables réunions projet « locales », très chronophages !
Et comme il n’y a de progrès que si il est mesurable, la
rentabilité a été structurellement augmentée de plus de 50% et l’entreprise a
retrouvé la croissance organique dans les délais prévus.