Ce 27 mai 2014, le Sénat a voté, dans l'indifférence générale, une proposition de loi constitutionnelle qui modifie la rédaction, au sein de la Charte de l'environnement, des principes de précaution, de participation et d'éducation à l'environnement. Le texte vient d'être transmis à l'Assemblée nationale. Analyse.
Les conditions de la discussion au Parlement de cette proposition de loi constitutionnelle et l'indifférence qui l'entourent sont assez étonnantes. Et inquiétantes car elles en disent long sur le rapport actuel de nombreux parlementaires aux questions qui touchent au développement durable.
La proposition de loi constitutionnelle présentée par le sénateur Jean Bizet avait pourtant de quoi retenir l'attention et des élu(e)s et des médias. Cette proposition ne propose rien de moins que de rouvrir un débat très sensible sur la Charte de l'environnement qui avait suscité des échanges passionnés en 2004.
Ne nous y trompons pas. Si la présentation des motifs de ce texte se veut rassurante, son objet est clair : rouvrir le débat sur la Charte de l'environnement dans un contexte radicalement différent de celui de 2004. Depuis, et surtout depuis l'échec du sommet de Copenhague de 2009, une vague d'écoloscepticisme déferle parmi les responsables politiques. L'heure n'est plus aux grandes déclarations sur "la maison qui brûle" ou au Grenelle de l'environnement. L'heure est donc la bonne pour remettre en cause et défaire.
La Charte de l'environnement, votée au terme d'un débat passionné et passionnel, témoigne d'un équilibre délicat et qui peut être aisément fragilisé. Comme pour tout texte constitutionnel, c'est d'une main tremblante qu'il faut envisager sa réécriture au risque de rompre l'équilibre de l'ensemble.
C'est pourquoi j'ai été stupéfait de constater que, lors de la discussion en séance publique de la proposition de loi constitutionnelle ce 27 mai 2014, la Secrétaire d'Etat a défendu un amendement tendant à inscrire un article 34-2 au sein de la Constitution dont l'objet était de dévitaliser complètement le principe de précaution. La Constitution de 1958 devenait ainsi un outil de limitation des effets d'un autre élément du bloc de constitutionnalité : la Charte de l'environnement. Ledit article tendait à subordonner l'application du principe de précaution à ....une loi organique.
Vous avez bien lu : le Gouvernement a défendu une révision de la Constitution tendant à ce qu'une loi organique (et non une loi ordinaire) permette de réduire la portée de la Charte de l'environnement. Que l'on soit pour ou contre le principe de précaution, on ne peut être que surpris par ce détournement de la fonction de la loi organique et l'idée d'écrire au sein de la Constitution de 1958 (et non dans la Charte) un article uniquement consacré au principe de précaution. C'est le droit en général, constitutionnel en particulier qui est ici durement malmené. En définitive, la loi organique aurait ainsi permis à la Constitution de réduire la portée de la Constitution : le "n'importe quoi juridique" a-t-il des limites ?
Non, si l'on en juge à la lecture de la "petite loi" c'est à dire du texte issu des débats au Sénat et transmis à l'Assemblée nationale.
Sur le fond, cette "petite loi" propose de réécrire les principes de précaution, de participation et d'éducation à l'environnement. Pour l'essentiel il est question d'alourdir la rédaction de ces principes pour en complexifier l'application à partir d'ajouts strictement inutiles. Ma note d'analyse du sens et de la portée de la proposition de loi constitutionnelle présentée par le sénateur Jean Bizet peut être lue ici.
La réécriture du principe de participation
Il convient cependant de s'arrêter ici sur la principale modification apportée à cette proposition de loi constitutionnelle à la suite des débats en séance publique. Elle concerne le principe de participation du public inscrit à l'article7 de la Charte de l'environnement.
La rédaction actuelle de cet article 7 est la suivante :
"Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement."
Les sénateurs proposent d'ajouter les dispositions suivantes au sein de cet article 7 :
"L'information du public et l'élaboration des décisions publiques s'appuient sur la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise scientifique indépendante et pluridisciplinaire.
L'expertise scientifique est conduite dans les conditions définies par la loi"
C'est cette dernière phrase qui retient immédiatement l'attention : "L'expertise scientifique est conduite dans les conditions définies par la loi"
Cette proposition de loi propose donc d'identifier les sources "officielles" de production d'expertise scientifique. Adieu les lanceurs d'alerte, seules les données scientifiques produites par les circuits validés par la loi pourront constituer les informations à fournir au public et seules ces dernières pourront être soumises au débat public. Le principe de participation du public aboutirait ainsi à consacrer "la vraie science" ?
Il faut espérer que la Ministre de l'écologie et les députés mettent un terme clair et définitif à cette aventure.
Arnaud Gossement