Viols et agressions sexuelles : Adoption d’une nouvelle loi au Sénat" border="0" title="POLITIQUE > Viols et agressions sexuelles : Adoption d’une nouvelle loi au Sénat" />
Hémicycle ©Photographes du Sénat
Le Sénat a adopté hier après-midi en première lecture une proposition de loi UDI-UC modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles notamment sur mineur(e)s, en le portant de 20 à 30 ans. L’assemblée Nationale doit encore l’adopter pour qu’elle entre en vigueur."J’ai été violée la première fois à 17 mois..." C'est ainsi qu'elle débute son histoire. Durant près de 30 ans, Arianne O. 44 ans a "oublié". A l’époque des faits, hospitalisée, son grand-père avait abusé d’elle. "Puis il y a eu le curé du village. Les viols ont eu lieu dans l’église. Et enfin il y a mon père. Il m’a violée de 8 à 11 ans. Ca s’est arrêté à 11 ans et demi, j’ai eu mes règles" raconte la jeune femme qui a tenté le suicide pour fuir l’enfer de son enfance.
"J’ai amnésié tous ces viols et je m’en suis souvenue… à 42 ans". Chez les jeunes enfants ayant subi des sévices à caractères sexuels, pareille amnésie est fréquente. Violaine Guérin, endocrinologue qui a défendu la loi auprès des parlementaires, a mené une étude sur 100 personnes agressées sexuellement. Parmi elles, seulement 41,7% ont réussi à dater avec précision leur premier traumatisme. "Dans un contexte intrafamilial ou péri-familial, difficile pour les enfants de savoir ce qui est normal ou non. Il y a un problème de cadre", analyse-t-elle. Jean-Louis Thomas, son confrère et auteur d'une revue littéraire sur les pathologies liées aux agressions sexuelles, distingue trois façons de gérer le traumatisme après les faits : "Certaines victimes repensent à ce qui leur est arrivé par bribes, par exemple au travers de flashbacks. D'autres enterrent leurs souvenirs et mettent plusieurs années à en parler, alors que certaines personnes, hypersensibles, y songent presque tous les jours."
Jusqu'à l'âge de 42 ans, Arianne se situait dans la deuxième catégorie. Et puis dans la nuit du 13 au 14 novembre 2012, au cours d’un voyage d’affaires, son corps s’est souvenu. "Je suis partie en enfer, j’ai décomposé et revécu tous les viols, toutes les sensations et leur cortèges d’émotions atroces (…) Je suis restée un mois entre la vie et la mort". Durant deux longues années, Arianne a vécu "ses symptômes comme ceux des vétérans du Vietnam". Mais trop tard pour porter plainte contre son père ; le délai de prescription de l'action publique était largement dépassé (10 ans).
La proposition de loi présentée hier par les sénatrices Chantal Jouanno et Muguette Dini a eu pour but de modifier les délais de prescription, pour qu'ils "ne commencent à courir qu'à partir du jour où l'agression apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d'exercer l'action publique et non à partir de la date à laquelle celle-ci est commise ". Seulement, le rapporteur Philippe Kaltenbach a soulevé un risque d'inconstitutionnalité et a finalement proposé d’amender le projet de loi en portant le délai à 30 ans au lieu de 20. Cette proposition, qui a pour objet de prendre en compte les risques d'amnésie post-traumatique des victimes d'agressions sexuelles, a été votée par les centristes, l'UMP et les socialistes. EELV et le CRC (Communiste, républicain et citoyen) se sont abstenus tandis que le RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen) a voté contre.
En France, l'agression sexuelle sur mineur(e)s est un phénomène que personne ne doit ignorer. Bien qu’il remonte à la nuit des temps et s’ancre dans les civilisations antiques de l’occident, rien ne permet de penser qu’il ait moins grande ampleur qu’il y a cinquante ans. Seule nouveauté : les langues se délient, les esprits se souviennent et chacuns témoignent sérieusement de son expérience. Lorsqu’un enfant, est forcé par la douceur, par la séduction, à participer à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre, l’adulte -qui use de son pouvoir pour assouvir ses envies perverses- brise une vie en devenir.FG