Quelques mois à peine après l’excellent Prisoners, voilà que débarque aujourd’hui (la date a apparemment été repoussée) sur les écrans belges Enemy, le nouveau film de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal. Il interprète Adam, un professeur d’histoire discret qui mène une vie paisible avec sa fiancée Mary (Mélanie Laurent). Un jour qu’il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte (Sarah Gadon). Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios… pour lui et pour son propre couple.
Ayant beaucoup aimé Prisoners lors de sa sortie en salle l’année dernière, ce nouveau projet de Denis Villeneuve (tourné en fait avant Prisoners) constituait l’une de mes grandes attentes de 2014. Et comme vous vous en doutez certainement au vu de ma note, je n’ai absolument pas été déçu. L’ambiance est étouffante et nous plonge de plein fouet dans le quotidien morose d’Adam. Un quotidien sans saveur où la monotonie s’est imposée comme une constante. Et le réalisateur ne se contente pas de nous la montrer, il nous la fait également ressentir grâce à un traitement visuel et sonore de très haut niveau. La photographie est en effet extrêmement soignée et, combinée à une mise en scène sans faille, participe à nous immerger dans l’atmosphère oppressante du long-métrage. Et bien que le pitch soit plutôt simple au demeurant, la tension est presque permanente et l’intrigue nous tient en haleine tout du long jusqu’à un plan final complètement "WHAT THE FUCK", qui nous incite inévitablement à la réflexion pour remettre dans l’ordre les pièces du puzzle. Un procédé qui peut décourager certains mais que j’affectionne tout particulièrement en ce qui me concerne, surtout quand cela tient parfaitement la route comme ici.
Mais si le film est aussi prenant, c’est aussi car il aborde toute une série de thèmes intéressants tels que le double, la dualité, l’engagement, la fidélité ou tout simplement les troubles du subconscient. Des thématiques qui ont assurément déjà été exploitées dans le passé mais auxquelles Villeneuve apporte une vision originale et surprenante. Au vu du pitch, je ne m’attendais effectivement pas à un tel développement. Bien sûr, tout n’est pas forcément limpide au premier visionnage et les métaphores utilisées peuvent sembler assez déroutantes, mais si on accepte de s’impliquer un minimum dans le film et de ne pas recevoir toutes les réponses sur un plateau d’argent, l’expérience est vraiment exceptionnelle. Il faut dire que le réalisateur distille suffisamment d’indices tout au long du récit pour maintenir en éveil l’attention du spectateur. Il est en effet toujours bien difficile de se détourner d’une œuvre qui suscite autant d’interrogations. Néanmoins, si je devais faire au film un unique reproche, ce serait peut-être sa résolution un peu précipitée qui contraste avec le rythme plutôt lent qu’il menait jusque-là. Enfin, côté casting, il n’y a pas grand-chose à dire si ce n’est que Jake Gyllenhaal est à nouveau convaincant dans ce double rôle plein de nuances qui l’oblige à faire des ajustements subtils dans son jeu.
Pour toutes ces raisons, Enemy s’impose donc comme un thriller remarquable dont la lenteur n’a d’égal que son intensité. Porté par une esthétique sublime et un Jake Gyllenhaal investi, le film captive et interroge pendant 90 minutes qui passent à une vitesse folle et dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Si ce n’est pas un chef d’œuvre, ça y ressemble beaucoup !