Avant hier je reçois dans ma boite mail l’alerte de publication du nouveau billet de Catherine Barré sur son blog « Les crabes dansent au Croisic ». J’ai eu la chance de rencontrer Catherine lors d’une réunion pour les femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique que j’animais à Nantes. Petite jeune femme, enjouée, elle n’a pas la langue dans sa poche et de retour à Paris, je suis allée voir son blog. Il m’a tellement plu que je m’y suis donc abonnée.
Dans l’article en question, elle annonce la couleur, « ça va pas être du gâteau » ! Et effectivement, ce billet ne laisse pas indemne. Cette jolie maman nous y raconte son petit homme, ses questions, ses angoisses, ses peurs, ses larmes, son désarroi face à la mort. Un huis clos entre la mère et le fils haut comme trois pommes à genoux et déjà si mature. Un huis clos trop plein d’émotion, parce que oui, la mort questionne quand le cancer survient et encore plus lorsqu’il métastase …. Pourtant malgré ses propres peurs, Catherine répond de façon juste à son petit bout, elle ne fuit pas, n’élude pas, interroge, répond, propose d’aller voir un psychologue pour en parler. Déjouer la mort n’est pas une mince affaire et en discuter avec un enfant si jeune non plus !
Bien sur comme toutes les mamans qui ont lu ce post, je me suis revue face à mes petits à moi, 4 et 7 ans à l’époque, encore fragiles et naïfs, confrontés au pire : la maladie de leur mère … je ne pensais pas les voir grandir, j’avais tellement peur de perdre la bataille face au cancer. J’ai eu comme Catherine le réflexe de les amener chez un psy afin qu’il gère à ma place leurs angoisses. J’avais bien trop à faire avec la mienne … Mon mari et moi leur avons tout expliqué, détaillé, avec leurs mots, grâce à des jeux parfois. Même la chimio si compliquée à comprendre, « médicament qui rend maman malade alors qu’elle a juste une petite boule de rien du tout dans le sein ». Le redoutable traitement était devenu un héros incarné par mon fils lors de mémorables batailles de polochon qui combattait le crabe (moi) mais aussi, pour expliquer la fatigue et autres effets adverses, les gentils globules blancs dignement représentés par ma fille. Le cancer perdait immanquablement la bagarre face à mon petit héros, tandis que ma fille reprenait des forces … comme moi, l’espérais-je ! Nous avons tout évoqué oui … sauf une chose : l’éventualité que ce soit le cancer qui me mette KO ! Je n’en était pas capable, contrairement à Catherine, je n’aurais pas trouvé les mots !
Lors de la récidive deux ans plus tard, j’ai prié Dieu, moi qui ne croyait plus en lui, pour qu’il me laisse tranquille quelques années afin de me permettre de les accompagner le plus loin possible sur le chemin de la vie.
Je ne sais pas qui je dois remercier, Dieu, Yahvé, Mahomet, Shiva, Bouddha, mon oncologue et son équipe, les chercheurs qui ont trouvé les médicaments pour me soigner, moi qui ai suivi scrupuleusement toutes les prescriptions ….. Bref les années ont passé, trop vite mais avec eux. La semaine dernière nous avons fêté les 21 ans d’Arnaud et ce sera bientôt le tour de Camille qui aura 18 ans en juillet. Mes deux fragiles bouts de chou sont devenus deux « adulescents » plein d’énergie et de projets ! La mort m’a oubliée un moment, suffisamment pour que je puisse les amener jusque là. J’ai eu du temps ….. Du temps pour les entourer, les aimer, les choyer, les câliner, les protéger, éloigner leurs angoisses, leur (re)donner confiance ….. Je n’ai pas toujours bien fait sans doute, je me suis beaucoup culpabilisée de ce que je leur avais imposé, maladie, dépression et finalement divorce. J’ai toujours gardé ce lien fort entre nous, malgré les moments difficiles de l’adolescence. Aujourd’hui je suis tellement fière. Fière de ce qu’ils sont devenus l’un et l’autre car ils sont tels que je les imaginais ou plutôt tels que je les rêvais. J’ai fêté chaque Noël, chaque anniversaire avec la même joie, avançant prudemment, toujours sur mes gardes, consciente de la fragilité de ces instants. Et c’est par dessus tout cette fragilité que j’ai voulu leur inculquer : foncer, ne pas perdre de temps, profiter de chaque instant. Le grand bonheur n’existe pas, les nuages ne sont jamais loin. La vie est faite d’une multitude de petits bonheurs qu’il faut apprendre à apprécier. Je crois, j’espère que le message est passé.
J’ai eu une chance extraordinaire et aujourd’hui j’ai l’impression du travail accompli … Pas question d’en rester là bien sur, et j’ai bien l’intention de continuer très longtemps. J’espère pouvoir être présente quand ils rentreront dans la vie active, assister à leur mariage et qui sait, devenir à mon tour une grand-mère gâteuse pour leurs enfants … !
Je compte mes rides dans le miroir, avec philosophie … Elles sont là (et bien là) mais elles me prouvent chaque jour que j’ai gagné, que la grande faucheuse a rebroussé chemin … en tout cas pour l’instant. Chacune d’entre elles est une victoire et prouve si il en était besoin à quel point le combat fut rude !
Il y a quelques mois j’ai tenu la main de ma maman jusqu’à son dernier souffle, peu après avoir tenu celle de mon père dans les mêmes conditions. J’ai aussi fêté mon demi siècle, moment symbolique s’il en est. Je suis en première ligne maintenant. Drôle de sentiment qui m’a beaucoup interrogée. Me voilà redevenue la proie de cette mort que je redoute tant. Elle m’a dans sa ligne de mire et je ne sais pas combien de temps encore elle me laissera tranquille. Cette ultra conscience de notre finitude est difficile à gérer et, en même temps elle nous permet de vivre intensément chaque instant. Le chaud et le froid soufflent sans cesse. Pourtant rien n’est tout blanc ou tout noir… la vie est pleine de nuances de gris et certainement plus qu’une cinquantaine !!!! ….
A toi Catherine et pour toutes les autres qui vous battez tous les jours, j’aimerais vous donner un peu de force, d’espoir, vous redonner confiance à vous aussi. Chaque moment partagé avec nos enfants est précieux, chaque câlin, chaque baiser, chaque dispute même les aide à se construire. Ils sont votre chair et votre sang et l’amour indéfectible que vous leur portez, dont ils sont imprégnés, est un bouclier indestructible qui les protègera jour après jour.. C’est cet amour là qui les fait grandir soyez en sures, et celui là est immortel, le cancer ne peut pas nous le prendre…
Je vous embrasse tendrement.
Catherine