- 28 mai 2014
- Gilles Rolland
- CRITIQUES
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Titre original : Super Duper Alice Cooper
Note:
Origine : Angleterre
Réalisateurs : Sam Dunn, Reginald Harkema, Scot McFadyen
Distribution : Alice Cooper, Sheryl Cooper, Dennis Dunaway, Robert Ezrin, Ella Furnier, Elton John, Iggy Pop, Dee Snyder, John Lydon, Bernie Taupin…
Genre : Rockumentaire
Date de sortie : 26 mai 2014 (DTV)
Le Pitch :
La vie et l’œuvre de Vincent Furnier, ce fils de pasteur devenu Alice Cooper, la bête incontrôlable du shock rock. De ses débuts à sa résurrection dans les années 80, en passant par sa descente aux enfers, retour sur le destin hors du commun d’une légende du rock and roll…
La Critique :
Il était temps ! Alice Cooper méritait qu’on érige un rockumentaire à sa gloire ! Qu’on retrace le parcours de cet électron libre du rock. De ce pionnier du punk, du glam, du heavy metal et de toutes les formes modernes d’exubérances musicales. Un artiste qui avait bien sûr fait l’objet de moult publications vidéos live et autres bouquins, mais jamais d’un film, du genre de ceux traitant d’autres monsters of rock comme Ozzy Osbourne (God bless Ozzy Osbourne) ou Lemmy Kilmister (Lemmy the Movie). Super Duper Alice Cooper, réalisé conjointement par Sam Dunn (bien connu pour ses excellents rockumentaires, Voyage au cœur de la bête, ou encore Global Metal, tous les deux chroniqués sur le site), Reginald Harkema et Scot McFadyen, comble donc un manque.
Un film qui déboule auréolé d’un titre absolument génial et d’une réputation le propulsant d’emblée dans la catégorie des indispensables. Une œuvre surprenante, en forme de voyage crépusculaire dans la psyché d’un anti-héros aussi complexe que passionnant. Alice Cooper ouvre ici les portes de sa demeure. Bienvenue dans son cauchemar…
Petit retour de rigueur sur Vincent Furnier. Né à Detroit, dans le Michigan, ce fils de pasteur à vite bougé à Phoenix avant d’aller courir après le succès à Los Angeles avec ses potes musiciens débutants. Ce sont les esprits qui suggèrent au combo, lors d’une séance de spiritisme, le nom d’Alice Cooper. Car au début, c’est tout le groupe qui s’appelle Alice Cooper et non un seul type. Le type en question reste pour le moment Vincent. Bien que dans l’ombre, l’entité incontrôlable Alice Cooper commence à prendre possession de son esprit, afin de le libérer de toutes les conventions morales d’une enfance trop tranquille, pour cadrer avec les canons du rock outrancier qu’il entend sublimer. Avec ses tenues androgynes, son maquillage dégueulasse et ses chansons brouillonnes pleines d’une rage non contenue, Alice Cooper écume les scènes. La réputation du combo est désastreuse, même si au final, il tape dans l’œil d’un certain Frank Zappa, qui le pousse en studio pour enregistrer. La suite appartient à la légende. Inspirés par Salvador Dalí, gardiens d’une musique insaisissable, en rupture franche avec le flower power et le psychédélisme trop sage, les musiciens d’Alice Cooper montent une à une les marches de la gloire, jusqu’au jour ou le groupe implose en plein vol, laissant l’opportunité à Vincent Furnier de devenir Alice Cooper. Sans contrainte, il s’approprie le nom (à moins que ce ne soit l’inverse) et laisse Furnier sur le bas côté. Furnier est trop sage, Alice est vorace. Le public ne veut pas de Furnier. C’est le nom d’Alice qu’il éructe dans les stades et les grandes salles. Il veut des hits, du sang, des mises en scène macabres…
C’est ce côté Dr. Jekyll et Mr. Hyde que Sam Dunn et ses co-réalisateurs ont décidé de pleinement exploiter pour raconter les premières années de l’histoire d’Alice Cooper. La dualité de l’homme, qui a mis face à face la nature douce de Vincent Furnier et la violente extravangance d’Alice Cooper, est au centre de la dynamique du documentaire. Une dualité remarquablement illustrée par l’insertion fréquente de passages issus du film Docteur Jekyll et Mister Hyde, de John S. Robertson (1920). C’est d’ailleurs par une citation de ce long-métrage muet que débute l’histoire d’Alice, soulignant la part d’ombre qui réside en chacun de nous. Un choix de mise en scène brillant et audacieux, qui permet à Super Duper Alice Cooper de trancher face aux autres rockumentaires du genre.
Alice Cooper est un pionnier du rock. Il est à l’origine d’un mouvement et s’est toujours distingué par une puissante théâtralité qui a, au fil des années, contribuée à bâtir une image forte et inoubliable. Que l’on aime ou pas Alice, personne ne peut lui enlever son statut à part dans l’univers du rock. C’est à cette singularité que le film rend aussi hommage, en refusant certains des codes inhérents à l’exercice de l’autobiographie vidéo. On retrouve alors beaucoup d’intervenants, dont certains très prestigieux (Iggy Pop, Elton John…), mais aucun n’est montré. C’est juste leur voix qui vient apporter sa pièce à l’édifice de la vie d’Alice Cooper. Alice qui se raconte d’ailleurs lui-même et qui, si il apparaît bien sûr à l’écran via plusieurs images d’archives et autres prises live, ne se montre jamais le cul sur un fauteuil, de nos jours, comme dans l’immense majorité des rockumentaires.
À l’instar des commentaires audio présents sur la plupart des DVD et autres Blu-ray, les intervenants parlent sans qu’on les voit et parfois, on se mélange un peu les pédales (oui on reconnaît bien Alice, Iggy et Elton John, mais les autres, c’est parfois plus dur), même si au fond cela n’a pas beaucoup d’importance tant le récit s’avère passionnant. Un choix qui renforce l’immersion et qui confère au film une identité propre, en totale osmose avec la personnalité de l’artiste auquel il s’intéresse.
Il y a ensuite le parti-pris esthétique, pour le coup ultra pertinent. Succession de montages alternant de brillants collages (parfois animés) de photos rares d’archive, et images live, Super Duper Alice Cooper rappelle ces bouquins qui une fois ouverts déplient en trois dimensions tout un univers. Accolé à la musique du groupe, le résultat final est impressionnant. Le temps défile au rythme des tubes, puis de la déchéance d’Alice Cooper, alors que se dessine en filigrane une réflexion sur le pouvoir de la gloire et ses conséquences. Héros d’une épopée atypique, quelque part entre le conte de fée et le film d’épouvante, Alice Cooper est ici montré tel qu’il est. Au fond du trou ou parmi les étoiles.
Superbement emballé, le long-métrage peut néanmoins s’avérer frustrant quand il effectue de violentes ellipses, occultant certains passages, à l’image de cette fin un peu abrupte qui intervient alors qu’Alice effectue son come back flamboyant, enfin sobre, dans les années 80, juste au moment de la sortie de Constrictor, l’album de la renaissance. Super Duper n’a pas vocation à faire dans l’exactitude historique, mais plutôt de brosser l’ensemble d’une trajectoire. Les bonus venant combler quelques trous ici ou là, sans pour autant proposer une énumération des albums. À l’instar d’un concert d’Alice Cooper, le film est un show. Un show tragique, divertissant, spectaculaire, superbement bruyant, et dont la principale force est de s’adresser à la fois aux fans hardcore du chanteur, et aux curieux et autres mélomanes désirant pénétrer pour la première fois l’univers de l’icône. Un peu trop court, le film réussit quand même au final l’essentiel, et s’avère être le travail titanesque d’une poignée d’admirateurs lucides. Auréolé d’un voile de mystère, Alice Cooper apparaît comme un survivant. Un vrai. De ceux qui revenus de l’enfer des drogues et de la picole, sont encore là aujourd’hui, avec toute leur superbe, pour tenir la dragée haute aux aspirants au succès. Le trône du shock rock est encore occupé par son souverain suprême.
@ Gilles Rolland