Européennes : état d’urgence politique
Laurent Mafffeis et Matthias TavelAbstention : le 1er parti de France et d’Europe
Avec 57 % d’abstention en France comme en Eu rope, la majorité des électeurs n’ont pas participé à ces élections européennes. Cette défiance est encore plus forte dans l’électorat populaire : 65 % des ouvriers, 68 % des employés, 69 % des chômeurs se sont abstenus d’après l’étude du vote réalisée par IPSOS.
Cette défiance est homogène dans toute l’Europe et montre à quel point l’UE est désormais déconnectée du peuple. L’abstention est encore plus massive dans les pays qui ont intégré le plus récemment l’Union européenne. L’abstention atteint ou dépasse ainsi les 70 % en République Tchèque, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Lettonie et Croatie.
Résultats en Europe :
la percée de l’autre gauche méditerranéenne
A l’image du succès de la CDU d’Angela Merkel, les partis de droite du PPE restent en tête au Parlement européen avec prés du tiers des sièges. Avec les sociaux-démocrates du PSE, la coalition majoritaire sortante conserve 54 % des sièges.
Pas de sursaut de la social-démocratie
Loin du succès annoncé par Martin Schulz, les sociaux-démocrates stabilisent leur nombre de députés. Leur rebond en Italie et leur progression en Allemagne masquent en réalité la poursuite d’un spectaculaire déclin dans le reste de l’Europe. Même en Allemagne, leur progression les place largement en dessous des scores historiques moyens des sociaux-démocrates allemands, alors même qu’ils disposaient de la candidature de Martin Schulz comme candidat à la présidence de la Commission. Dans plusieurs pays de l’Est, les sociaux-démocrates s’enfoncent sous les 10 %, notamment en Hongrie et en Pologne, pays qu’ils avaient pourtant dirigé pendant plusieurs années après la chute du mur de Berlin. Et dans les pays scandinaves, bastion de la social-démocratie européenne, ils sont loin de leurs scores historiques avec seulement 19 % par exemple au Danemark.
Une extrême droite ascendante mais divisée
Les partis d’extrême droite progressent fortement à l’image du Front National. Pourtant ils sont loin de constituer un "bloc europhobe" de 140 députés qui a été annoncé par la presse comme la principale nouveauté de cette élection. Les deux partis d’extrême drpote en tête en Grande-Bretagne et au Danemark refusent ainsi toute alliance avec le FN de Marine Le Pen. Quant au principal allié de cette dernière, le PVV du néerlandais Geert Wilders, il a réalisé une contre-performance électorale, tout comme son autre allié le Vlams Belang belge. Deux autres partis d’extrême droite en progression, le Jobik hongrois et Aube dorée en Grèce, font aussi bande à part par rapport au Front National. On est donc loin d’un "bloc europhobe" cohérent comme annoncé par les médias.
La percée de l’autre gauche méditerranéenne
Alors que les verts reculent de quelques sièges, les partis de l’autre gauche regroupés dans le groupe GUE progressent fortement. Le groupe GUE devrait ainsi voir son nombre d’élus passer de 35 à 53, soit une progression de 50 %, qui lui permet désormais de faire jeu égal dans le Parlement avec les Verts. Cette progression provient principalement des pays méditerranéens où l’autre gauche réalise une percée. Emmenée par Alexis Tsipras la coalition Syriza arrive en tête en Grèce avec 26,5 % (7 élus). L’autre gauche espagnole totalise 18 % entre l’alliance communiste Izquierda Plural (10 %, 6 élus) et le nouveau parti proche du mouvement des Indignés, Podemos (8 %, 5 élus). L’autre gauche remporte aussi 17 % au Portugal. Et elle retrouve aussi une représentation parlementaire européenne en Italie, avec 3 élus de la coalition Autre Europe.
Laurent MAFFEÏS
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Résultats en France :
la crise politique s’approfondit
Un mode de scrutin injuste…
Officiellement, les européennes se déroulent à la proportionnelle. Dans les faits, le mode de scrutin en 8 circonscriptions favorise les gros partis. Le PS sauve 13 sièges alors que son score national ne lui donne droit qu’à 10. L’UMP emporte 20 sièges alors que son score ne lui en aurait donné que 15 à la proportionnelle nationale. Le FN tire le jackpot : avec 24,85% des voix, il empoche 32% des sièges soit 24 élus. Dans le Nord-Ouest, la liste de Marine Le Pen empoche même la moitié des sièges (5 sur 10) avec moins d’un tiers des suffrages.
A l’inverse le FDG aurait eu un élu supplémentaire à la proportionnelle nationale. Surtout, le seuil pour participer à la distribution des sièges est officiellement de 5%. Mais le FDG n’obtient que 4 élus alors qu’il le franchit dans les 8 circonscriptions du pays.
Le FN en tête
Le Front National arrive en tête d’une élection nationale pour la première fois de son histoire. Avec 4,7 millions de voix, il obtient 24,85% des suffrages. Son score est homogène. Le FN dépasse les 10% des exprimés dans tous les départements sauf Paris, Mayotte, la Martinique et la Guadeloupe. Il arrive premier dans 5 des 8 circonscriptions (Nord-Ouest, Est, Sud-Est, Sud-Ouest, Centre) et 71 départements. Seuls l’Ouest et l’Ile-de-France, zones traditionnellement plus faible, placent l’UMP en tête, le FN plafonnant sous les 20% des exprimés.
Avec 4,7 millions de voix, le FN ne retrouve cependant pas les 6,4 millions de voix de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012. Mais il dépasse d’un million son nombre de voix des législatives 2012 (1er tour), dernière élection nationale, alors que la participation y était nettement plus forte. Par rapport aux élections européennes de 2009 où la participation était équivalente, le FN multiplie son nombre de voix par plus de 4 (il obtenait 1,1 millions de voix).
D’où viennent ces voix ? Seule une analyse bureau de vote par bureau de vote permettrait de le savoir avec exactitude. Mais de toute évidence, le score du FN s’explique principalement par une plus grande mobilisation de son électorat et plus modestement par un jeu de vase communicant avec la droite « classique ». Aux européennes de 2009, le total des listes de droite et extrême-droite cumulait 8,6 millions d’électeurs. Cette année, il atteint 11,7 millions, trois millions de plus, uniquement tiré par le FN. Les listes de droite « classique » reculent de 450 000 voix. Le total, 3,5 millions, correspond exactement aux progrès du FN.
Crise à droite
Le FN est-il en train de prendre la tête de l’opposition de droite à François Hollande ? La question mérite d’être posée. Car l’UMP ne réussi pas à remplir ce rôle. Avec 3,9 millions de voix, l’UMP retrouve à peine la moitié des voix de la majorité sarkozyste sortante aux législatives de 2012 (8 millions). Elle obtient même 860 000 voix de moins qu’aux européennes de 2009. La tribune de Nicolas Sarkozy publiée à trois jours du scrutin n’aura pas mobilisé.
La défection du centre-droit (l’UDI de Jean-Louis Borloo se présentait cette année avec le Modem alors que ses composantes participaient aux listes UMP en 2009 et 2012) ne suffit pas à expliquer ce recul de l’UMP. Le total des voix centristes, UMP et divers droite est en recul par rapport aux législatives de 2012 (-2,5 millions) comme par rapport aux européennes de 2009 (-500 000 voix). Une part non négligeable des électeurs du centre-droit et de la droite a donc préféré s’abstenir ou voter FN.
C’est particulièrement visible dans certaines circonscriptions comme le Sud-Ouest. Avec 8,6% des voix, le candidat UDI-Modem Robert Rochefort obtient un score identique à celui de 2009 (8,61%) alors que la liste UMP s’effondre, passant de 26,7% en 2009 à 18,5% seulement. Même dans l’Ouest où l’UMP reste devant le FN, le parti de Jean-François Copé passe de 27,2% à 19,6%. La liste UDI-Modem ne récupère que la moitié des pertes.
Le PS à son plus bas historique
L’UMP ne profite pas de la démobilisation des électeurs de gauche. Le PS est pourtant frappé très violemment. Après la bérézina des municipales, il essuie une deuxième déroute. Avec 13,98% des suffrages exprimés, le PS réalise son pire score à une élection nationale depuis 1965. Il fait pire qu’aux législatives de 1993, pire qu’à la présidentielle de 2002, et même pire que Michel Rocard aux européennes en 1994 (14,3%).
Le PS obtient à peine 2,6 millions de voix. C’est 200 000 voix de moins qu’en 2009. Surtout, le PS est le parti qui perd le plus d’électeurs par rapport aux élections législatives de 2012. Il perd 5,4 millions de voix. Le PS perd 67% de ses voix des législatives quand la participation ne recule que de 25% ! Après les élections municipales, le nouveau Premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis jugeait que « les électeurs de gauche nous ont fait la grève ». C’est manifestement une grève reconductible.
Combinée à la sortie d’Europe Ecologie du gouvernement, c’est l’assise sociale de la majorité gouvernementale qui est réduite à un niveau jamais atteint. Les quatre dernières élections européennes ont toutes été organisées deux ans après l’élection d’une nouvelle majorité parlementaire. La comparaison est donc facile. Elle est édifiante pour François Hollande. En 1999, deux ans après sa victoire de 1997, la gauche plurielle totalisait encore 38% des voix. En 2004, deux ans après la réélection de Jacques Chirac, la majorité gouvernementale UMP-UDF rassemblait encore 29%. En 2009, deux ans après la victoire de Nicolas Sarkozy, l’UMP atteignait 28%. Cette année, seuls les listes du PS-PRG soutenaient le gouvernement. Elle recueillent donc 13,98% ! Manuel Valls n’a pas de base sociale dans le pays.
Le PS emporte (presque) tout dans sa chute
Le PS emporte presque toute la gauche dans chute. Le total des partis de gauche et d’extrême gauche est terriblement bas. En 2009, ce « total gauche » dépassait les 45%. En 2012, aux législatives, il flirtait avec les 48%. Cette année, il atteint péniblement les 34% ! La politique de François Hollande met en danger tout le monde à gauche, même ceux qui la combattent ou la critiquent ! Sa sortie du gouvernement a permis à Europe Ecologie de retrouver ses électeurs des législatives de 2012 (1,7 million de voix contre 1,4 million en 2012). Mais cela n’a pas empêche l’effondrement par rapport aux européennes de 2009 : le parti perd 40% de ses voix soit plus d’un million de suffrages. Même chose pour les listes d’extrême gauche (NPA, LO). Elles améliorent leur score des législatives 2012 mais s’effondrent par rapport à 2009. C’est particulièrement vrai du NPA qui récoltait 4,88% des voix et ne dépasse pas 1% cette fois-ci.
Front de Gauche : entre résistance et ressac
Dans ce contexte, le Front de Gauche résiste. Il est la seule force de gauche à gagner quelques voix par rapport aux européennes de 2009. Avec 1,25 million de voix, il obtient 6,61%. C’est un peu mieux qu’en 2009 où le FDG totalisait 1,1 million de voix et 6,48%. Contrairement à 2009, le FDG franchit la barre des 5% dans toutes les circonscriptions. Dans les 7 circonscriptions métropolitaines, le FDG progresse en voix par rapport à 2009. Les gains sont plus forts dans l’Est (+ 42 000 voix pour Gabriel Amard) et dans le Sud Ouest (+38 000 voix pour Jean-Luc Mélenchon). Dans les 7 circonscriptions, le FDG recule en voix par rapport aux législatives de 2012. Les pertes sont plus lourdes dans le Nord Ouest, l’Ile-de-France et le Sud-Est où elles dépassent 100 000 voix.
La résistance nationale ne masque pas un score décevant. Le recul en voix du par rapport aux législatives de 2012 est plus important que la baisse de participation. (-33% des voix pour -25% de participation). Cette tendance est confirmée par le sondage IPSOS « comprendre le vote des Français » réalisé à la veille du vote. Il indique qu’environ un quart des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle a de nouveau voté pour le Front de Gauche, un quart s’est porté sur d’autres listes de gauche (EELV, Nouvelle Donne…) et la moitié s’est abstenu.
Dans le détail, Jean-Luc Mélenchon dans le Sud-Ouest, Gabriel Amard dans l’Est et Myriam Martin dans l’Ouest améliorent le score du FDG par rapport à 2009 mais aussi par rapport aux législatives de 2012. Gabriel Amard est celui qui progresse le plus par rapport à 2009 (+1,35 point). Jean-Luc Mélenchon est celui qui progresse le plus par rapport aux législatives 2012 (+0.73 point). Comme en 2009, Jean-Luc Mélenchon obtient le meilleur score du FDG avec 8,6% dans le Sud Ouest, améliorant son résultat de 2009. Il progresse en voix dans la totalité des 18 départements de la circonscription.
Dans des terres à forte influence communiste, Corinne Morel Darleux et Jacky Hénin voient leur score reculer par rapport à 2009 et 2012 en pourcentage. Corinne Morel Darleux améliore cependant le score par rapport à 2009 dans certains départements comme le Puy-de-Dôme (+ 2 000 voix et + 0,33 point). Le recul le plus important concerne le Nord-Ouest où Jacky Hénin n’est pas réélu. Il est le seul député sortant FDG dans ce cas. Marie-Christine Vergiat dans le Sud-Est, Patrick Le Hyaric en Île-de-France, Younous Omarjee outre-mer et Jean-Luc Mélenchon sont réélus.
Matthias TAVEL