Nous hackathons, nous innovons ?

Publié le 27 mai 2014 par Marianne Dekeyser @IDKIPARL

Source Flickr Andrew Eland

Il y a eu les brainstormings (réunions de remue-méninges concentré pour innover) et le sort qu’on leur connaît, qui ferait se lever de sa tombe son inventeur Alex Osborn : victimes de leur succès ils ont été la plupart du temps mal préparés, mal animés, mal suivis…donc à faible valeur ajoutée. Quand ils ont été structurés, ils ont souvent été imposés comme des temps de réflexion « hors de la boîte » avec une boîte qui ne s’autorise pas grand chose d’autre ! Résultat ? Ces temps dédiés à l’inspiration et à l’expiration créatives ont parfois pêché par défaut : des gouttes d’eau qui ne forment pas de ruisseau.

Pourquoi en parler au passé ? Parce que le « hackathon » (contraction des mots « hacker », bricoleur technologique pour rester sur la version positive du terme, et « marathon », course d’endurance d’une journeé/nuit à un week-end) reprend le flambeau du brainstorming. Il le revisite en effet avec l’état d’esprit du « logiciel libre » et de l’open source.

Qu’est-ce que l’état d’esprit « du libre » ? Pekka Himanen, philosophe et chercheur finlandais, y a beaucoup réfléchi dans son livre « L’éthique Hacker et l’esprit de l’ère informatique » paru en 2001. L’auteur a surtout rétabli dans son opus l’importance d’un mouvement-clé dans une économie du savoir. L’extrait au dos de la couverture mérité d’être partagé :

« Il y avait la rock’n’roll attitude, il y a désormais la “hacker attitude“, un modèle social pour l’ère post-industrielle », expliquait Libération lors de la parution de ce libre au début de l’année 2001 aux Etats-Unis. On considérait jusqu’à présent le « hacker » comme un voyou d’internet, responsable d’actes de piratage et de vols de numéros de cartes bancaires. L’essor du Net a contribué à cette mauvaise réputation, certes tronquée et trompeuse, des flibustiers de la grande toile. Le philosophe Pekka Himanen voit au contraire les hackers comme des citoyens modèles de l’ère de l’information. Il les considère comme les véritables moteurs d’une profonde mutation sociale. Leur éthique, leur rapport au travail, au temps ou à l’argent, sont fondés sur la passion, le plaisir ou le partage. » Les « gentils » hackers représentent donc la principale population des Hackathons, auxquels d’autres profils se sont rajoutés : designers, mais aussi professionnels, experts et coachs. Plusieurs configurations et orientations existent : nous retiendrons le principe de travail en équipes pluridisciplinaires dans une ambiance qui conjugue cour de récréation, collaboration, effervescence et compétition, qui part d’une problématique jusqu’à une solution prototypée avec présentation devant un jury. Les débouchés du Hackathon portent souvent sur de nouvelles applications, de nouveaux services connectés. Le Hackathon est donc devenu l’événement innovation à organiser pour décadrer la réflexion et cela me semble tout à fait justifié sur le fond puisqu’il permet d’ouvrir de nouvelles voies et de mobiliser l’intelligence individuelle et collective d’une façon inédite. Je vous propose néanmoins un petit tour de chauffe pour ne pas réitérer les mêmes dérives qu’avec les brainstormings et pour miser sur la vraie valeur ajoutée de cette technique que vous l’utilisiez en interne ou avec des communautés externes dans une logique d’innovation ouverte.

1. Revenons aux sources du Hackathon (également appelé « Jour du Hack », « Fête du Code » etc…).  « Institutionnalisé » par Facebook , la vidéo de GenerationInc (2 mn) ci-dessous revient sur la génèse et les objectifs du Hackathon : stimuler la créativité des employés, encourager l’innovation spontanée pour réfléchir ensemble sur des projets expérimentaux, hors des heures de travail (l’énergie créative doit pousser à investir du temps personnel) avec ressources et encadrement nécessaires.

2. A quoi ça ressemble un Hackathon ?  Le résumé en images du DigitalHeathCamp qui s’est tenu à Strasbourg en mars dernier

3. Pour appréhender en quelques lignes l’ampleur du phénomène en France, l’article paru dans le Figaro du 31 Mars dernier intitulé « Comment le Hackathon réinvente l’innovation en entreprise« , de là à dire que le hackathon fait partie de la stratégie des entreprises, c’est aller un peu vite en déduction !

4. Le magazine 01 Net titrait il y a presque un an « Vers la fin des hackathons ?«  pour souligner les risques associés à ce type d’événement innovation.


 

5. Quelles sont les bonnes pratiques pour organiser un Hackathon ? L’Usine digitale donnait quelques clés en février dernier.


Plus largement, les lois du Hackathon suivent la logique des 7P de préparation des méthodes agiles (telles que décrites ci-après) :

  1. Purpose (But/Intention) :  Quels sont les objectifs du hackathon ? Sur quelle problématique allez-vous engager les cerveaux mobilisés pour l’occasion ?
    A éviter :
    « Et si on faisait un Hackathon pour développer une app qui va résoudre tous nos problèmes ? » (pas la solution magique).
    « Et si on faisait un Hackathon pour drainer plus de trafic sur notre plateforme ? » (pas un événement de Communication, ni de Relations Presse, ni marketing)
    « Il nous faudrait vraiment ça comme solution, faisons un Hackathon pour voir ce qu’il en ressort ! » (quel est l’intérêt de mobiliser 50 développeurs ?)
  2. Product (Résultat) : Quel est le résultat attendu ? Niveau de concrétisation souhaité ? Une app, Un design de solutions…(vous n’aurez pas la solution « plug and play »).
  3. People (Participants)  : Qui va participer (pensez à la diversité des profils) ? Quels rôles les participants vont jouer ? L’esprit collaboratif de l’événement suffit-il à motiver les meilleurs pour participer ? Quels sont les éléments de propriété intellectuelle que vous verrouillez ? Je vous invite, à ce sujet, à lire (en anglais) l’article éclairant d’Alan Steele sur les Hackathons et la propriété intellectuelle publié en juin 2013 dans la Harvard Business Review ou plongez-vous dans le règlement du hackathon organisé par Direct Energie sur la maison connectée pour vous faire une idée plus précise. Quelles sont les récompenses attribuées ?
  4. Process  (Agenda Pendant l’événement) : En tenant compte des 3 éléments précédents, quel agenda allez-vous dérouler pour répondre à vos objectifs, par rapport aux participants et au résultat attendu ? (Process qui peut se matérialiser par une série d’activités, exercices, temps forts). Je reprends l’exemple générique donné par l’association Smart Chicago, organisatrice de Hackathons civiques (à adapter) :
    7:00 Les organisateurs sont là pour finir les dernières préparation
    7:30 Nourriture, café et eau sont livrés
    8:00 Petit-déjeuner
    8:30 Bienvenue (avec les indications pratiques d’usage : mot de passe pour le Wifi, les toilettes etc…)
    8:45 Partage des données de l’entreprise organisatrice (“Voilà où nous en sommes, voici quelques ressources”)
    9:00 Définition de la problématique
    9:30 Questions & Réponses des participants
    10:00 Les équipes se forment et « hackent » !
    12:00 Pause déjeuner
    16:00 Fin de partie et passage devant le jury
    16:30 Les gagnants sont annoncés
  5. Preparation (Préparation) : Faut-il une préparation au préalable de la part des participants ? Que se passera-t-il après ? Quelle suite donnerons-nous ?
  6. Practical concerns (Aspects pratiques) : Au niveau logistique, que faut-il prévoir ? (en général pas mal de choses pour ce type d’événement entre l’équipement, la connexion, l’organisation de l’espace physique, le ravitaillement etc…).
  7. Pitfalls (pièges, risques) : Quels sont les risques (débordements participants, problèmes techniques…) ? Quelles sont les actions pour les gérer (plan B) ?

Hackather est-ce innover ? oui !  Je ne reprends que les résultats du Hackathon Direct Energie de novembre dernier (pour rester sur l’exemple que j’ai déjà cité) avec trois prix décernés : Le prix de la maison connectée avec mise en place d’un écosystème sur le Cloud pour piloter tous les objets connectés de la maison à partir du système de reconnaissance vocale d’un Android ;Le prix Maîtrise de la consommation pour permettre à son foyer de consommer de manière économique et d’en être récompensé ; Le prix coup de coeur du jury pour la mise au point une solution utilisant la réalité augmentée sur son smartphone pour piloter les objets connectés. Vous serez vite fixés en suivant le lancement de ces solutions ou non sur le marché.

Mais Hackather est-ce LA solution pour innover ? Petit rappel du magazine Fast Company « 6 choses que les organisateurs expérimentés de Hackathons connaissent…et pas vous« . Je vous le traduis en(très) résumé :

  1. Ce n’est parce que c’est la dernière méthode « à la mode » que c’est forcément la prochaine méthode à adopter et surtout celle qui est pertinente dans votre contexte (culture d’entreprise, stratégie, ambition…).
  2. Ne pas surestimer les sponsors (si vous êtes dans le cas d’un Hackathon avec partenaires) au détriment des participants.
  3. Considérer le Hackathon comme un accélérateur de projets, un temps d’expression libre, créative et collaborative, pas une étape de votre stratégie.
  4. Attention au montant accordé pour les primes : trop élevée, la prime dénature « l’esprit du libre » ;  pas assez élevée, veillez à l’intérêt du défi annoncé. La prime reste toujours un sujet sensible en innovation (et ce, quel que soit l’événement) surtout s’il y a succès commercial ensuite (on en revient alors au point critique de la propriété intellectuelle citée plus haut).
  5. Donner la perspective du projet aux participants avec la possibilité de les inclure dans la suite du développement sous une forme ou une autre.
  6. Réinventer votre format de Hackathons à chaque fois (en clair « hackez-vous vous-mêmes !!!). Vous pouvez alors aussi organiser des « non-conférences » ou Barcamps : au lieu d’avoir des sujets bien précis établis à l’avance et présentés par une personne à un groupe, les thèmes abordés sont choisis par le groupe puis débattus en ateliers. Les barcamps, c’est tout simplemement la méthodologie de facilitation du Forum Ouvert appliqué à des sujets technos !

Vous savez presque tout sur le Hackathon mais vous n’avez pas (encore) besoin de développeurs ? Restez sur alors sur le mot « hacker« , la piste offre (aussi) d’énormes potentiels si vous vous en tenez à la définition du mot : « contourner, renverser le système établi » ! Plus concrètement, comment faire votre propre révolution ? Voici quelques questions, partagées par Lisa Bodell auteure du livre « Kill the Company« , pour vous y aider :

1. Si vous deviez avancer sur un seul projet pour transformer votre activité, ce serait lequel et pourquoi ?

2. Quel est le lien le plus court vers le client ? Comment pouvez-vous le mettre en place en six mois ?

3. Qu’est-ce qui le plus besoin d’être repensé : nos produits ? nos process ? notre état d’esprit ? Comment s’y attaquer dès demain ?

4. Nous sommes en 2025 et nous avons été élue « meilleure entreprise au monde » (tout le monde veut travailler chez nous) : Quelles sont les deux actions-clés que nous avons menées pour mériter cette récompense ?

5. Quelle partie de votre travail voudriez-vous supprimer ?

6. Quel serait la phrase géniale que pourrait prononcer un client à notre encontre avant de mourir ?

7. Que pouvons-nous offrir de gratuit que personne d’autre ne fait pas ?

8. Vous venez juste de terminer un livre-vérité sur votre entreprise : quels secrets exceptionnels révèle-t-il ?

9. Comment transformer nos services en produits et nos produits en services ?

10. Si vous pouviez recruter 5 personnes en plus dans votre équipe, de quelles compétences inhabituelles seraient-ils dotés et pourquoi ?

Personnellement, je rajouterai les questions « hack » suivantes : « qui pourrait tuer notre activité demain ? » , « comment concilier performance économique ET sociale ? » etc…

En conclusion, vous avez brainstormé, vous commencez à hackather, il est temps de hacker maintenant car comme le disait Einstein « Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être résolus au même niveau de pensée qui les a engendrés. »