J'en ai un peu assez d'entendre un peu partout cette contre-vérité selon laquelle la France , avec la nette victoire du FN aux élections européennes, participerait d'un vaste mouvement d'europhobie affectant toute l'Union . Une manière cynique de masquer la déconfiture totale des partis de gouvernement et la poussée du FN qui , indiscutablement sont bien , elles , des particularités bien françaises . Comme les problèmes qui en sont à l'origine .
Brice Couturier, dans sa chronique du 26 mai , le dit clairement ; je la livre ici in extenso :
"Les Français devraient arrêter de se prendre pour le nombril de l’Europe. Il n’y a pas de « poussée de l’extrême droite », ni des « eurosceptiques populistes » à l’échelle de l’UE. Le Parlement européen devrait compter une entre 100 et 120 députés eurosceptiques sur 751 sièges. Ce qui ne saurait gêner son fonctionnement. Par contre, ill y a le score du Front national. Il est, oui, exceptionnel : c’est une exception française de plus.
Le PVV néerlandais dégringole à 12 %, le Vlaam Belang belge perd 6,5 % de ses voix, à 6,1 %. Certes, le FPÖ autrichien fait une poussée, à 20 %, mais dans ce pays, le centre-droit (ÖVP) reste largement en tête, avec 28 %. Malgré la politique d'austérité, en Espagne, comme dans la majorité des grands pays européens, les deux grands partis de gouvernement s’attribuent environ les deux tiers des suffrages. Le PPE (centre-droit) arrive en tête avec plus de 32 %, suivi des sociaux-démocrates du PSOE suivi des socialistes avec plus de 30 %. Au Portugal, c’est le contraire, les socialistes atteignent les 35 %, le centre-droit 26 ou 27 %. En Pologne aussi, les deux grands partis de gouvernement Plateforme Civique (centre) domine de peu, avec 32,8 %, la droite de Droit et Justice (31,8 %).
Finalement, le vote le plus préoccupant pour la poursuite du projet européen, c’est celui de la Grande Bretagne, plaçant en tête le UKIP. Mais ce parti souverainiste ne saurait être comparé au Front national, avec lequel, d’ailleurs, il refuse tout dialogue.
En Allemagne, la chancelière remporte un nouveau succès électoral, avec 36 % des voix, devant les sociaux-démocrates à 27 %, les Verts à 10 % et le Parti de Gauche local, avec 7,5%. Et si le parti souverainiste Afd fait une percée, elle est toute relative, puisqu’il n’a obtenu que 6,5 % des suffrages. En Italie, la victoire du parti au pouvoir est nette et sans bavures – 32 %. Ce qui prouve que la politique de réformes au pas de charge menée par Matteo Renzi est populaire.
Le cas français est donc absolument particulier et sans équivalent. Il n’y a qu’en France qu’on peut voir un parti prônant la sortie de l’euro, la sortie de Schengen, la sortie du grand marché européen, conquérir le quart des suffrages exprimés. La France est aussi le seul pays de l’Union européenne où le parti dont est issu le gouvernement obtient moins de 15 % des suffrages.
Laurent Fabius l’a reconnu hier soir, sur France 2 : « C’est plus qu’un avertissement, c’est un séisme. » Et Manuel Valls – veste noire, cravate noire, regard noir - a dramatisé l’évènement à souhait, comme en deuil d’une certaine idée de la France.
Un quart des Français rendent l’Europe responsable de nos échecs. Je voudrais leur faire remarquer quelque chose. En reprenant les propos de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la BCE, dans une interview au Point, avant-hier :Quand l’euro a été mis en place, en 1999, l’Allemagne avait plus de chômeurs que nous. Son budget public était lourdement déficitaire. Son commerce extérieur lui-même était déficitaire. On parlait alors de « l’homme malade de l’Europe ». Aujourd’hui, l’Allemagne a 5 % de chômeurs, quand nous en avons 11 %, le déficit budgétaire de ce pays sera, cette année, presque inexistant (6,5 milliards), il est dix fois plus élevé chez nous. Enfin, l’Allemagne est devenue le deuxième exportateur du monde, alors que notre balance commerciale est lourdement déficitaire. Et, comme le souligne Trichet, avec la même monnaie, dans la même Europe, face à la même concurrence internationale.
Comme l’a dit Alain Juppé hier, « en Allemagne, les partis de gouvernement gagnent parce qu’ils réussissent. » Sous-entendu : en France, ils perdent parce qu’ils échouent.
Il faut cesser de mettre en accusation les « bureaucrates non élus de Bruxelles », qui « malmèneraient notre identité nationale » et nous « imposeraient l’austérité ». La politique de rigueur nous est imposée par le laxisme des gouvernements qui se sont succédé dans ce pays depuis quatre décennies. Pas par Bruxelles. Nous ne pouvons pas continuer à accroître une dette dont les intérêts (très faibles, grâce à la confiance qu’inspire l’euro) dévorent déjà une part du budget de l’Etat équivalente à celui de l’Education nationale.
Pour éviter "la décomposition de la vie politique de notre pays, diagnostiquée, hier soir, par françois Bayrou, il faut tenir un discours de vérité et non se défausser sur l’UE de toutes nos erreurs.
Sans doute le temps est-il venu aussi d’introduire une bonne dose de proportionnelle au Parlement. Il est malsain qu’un parti qui recueille entre 18 et 25 % des suffrages à chaque élection ne soit représenté que par deux députés et aucun sénateur, tandis que le parti au pouvoir en recueille moins de 15. Un système proportionnel rendrait le pays ingouvernable, disent certains. Ne serait-ce pas, au contraire, l’occasion donnée aux partisans des réformes de s’unir pour les faire avancer, plutôt que de critiquer mutuellement lorsqu’ils tentent de les mettre en oeuvre ? L’Allemagne doit sa stabilité à ses grandes coalitions. Le Parlement européen lui-même ne connaît pas une « majorité » qui voterait comme des godillots tous les textes présentés et une « opposition » qui voterait systématiquement contre. Pourquoi ne pas appliquer la recette en France ? "