C’est jour de printemps et les glaces viennent de libérer les eaux. Incolores, elles se gonflent avec la crue, reflétant le cobalt du ciel. Des filaments de nuages miroitent sur le lac Saint-Jean tout en fuyant vers l’Est. La clarté qui s’avance discrètement me décroche un sourire. Je suis prête à écouter les mots de la terre.
J’observe le jeu de la nature : elle était en veille, voilà qu’elle arbore à nouveau des teintes enflammées. Je me sens comme cette dame : une artiste qui se laisse bercer par les couleurs de chaque saison. Quand elle provoque la foudre, elle y met le feu. Lorsque la pluie inonde les fossés, vient au monde l’angélique.
Je compare la réalité des artistes à cette floraison : nous sommes maîtres de nos états d’âme. Lorsque je crée, j’ai l’impression de semer un grain. Ce moment m’anime. J’ai ce désir de partager de la beauté, du rêve, alors il me faut offrir des gerbes de fleurs et qu’elles se laissent cueillir… ou pas. Je passe des lunes à semer, à noyer mes récoltes parce que j’y mets trop d’eau, à souvent recommencer mes aquarelles parce que la pureté y est plus ou moins… Consciente que j’apprendrai toute ma vie en repiquant des semis. La persévérance et les essais me donnent de l’expérience. Je veux traiter l’aquarelle avec authenticité. Sans gène, je regarde mes œuvres dans le blanc du papier pour y voir la lumière.
Le vent m’a confié qu’il s’estompe toujours après la tempête et qu’il est parfois préférable de lui faire face. Mon instinct a toujours guidé ma prise de décisions. C’est alors qu’un certain matin d’automne, je fis un pas de plus : je présentai mes créations pour la toute première fois… J’avais osé traverser le pont des artistes.
Ce pont était sur ma route. Il me semblait craquelant. À y penser, il n’y avait pas de risque à le traverser si je posais les pieds sur des planches solides : simplement un défi. Mon objectif était de toucher un cœur. J’avançais à pas feutrés, mais avec la hâte de découvrir cette berge.
Une fois traversée sur l’autre rive, les oiseaux étaient immobiles dans le ciel et il n’y avait aucun bruit, pas même celui des feuilles qui tremblaient sur les ailes du vent. Étrangère et en zone inconnue, mon cœur battait à en perdre le rythme. Seule parmi les conifères géants, le silence me permettait d’entendre ma voix. J’y compris que l’essence même de ma vie d’artiste était de voyager par l’imaginaire pour atteindre la liberté et que de cette façon, j’arrivais à fixer le temps.
Que les oiseaux dansent ou non dans le ciel, c’est le fruit de l’imagination. Souvent, les artistes traversent le pont parce qu’ils ont ce besoin puissant de partager… la liberté.
Virginie Tanguay
Notice biographique
Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean. Elle peint depuis une vingtaine d’années. Elle estprès de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes. Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique. Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif. Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion. Les détails sont suggérés. Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien. Elle est aussi chroniqueuse régulière au Chat Qui Louche. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, son adresse courrielle : [email protected].