UNE VENTE (d'après Maupassant)
Les nommés Caron Césaire
Et Cornu Prosper
Comparaissaient devant le juge de paix.
Ils étaient inculpés
De tentative d’assassinat
Par immersion
Sur Marie Brument, femme Caron.
Prosper Cornu, petit, gros, court de bras,
La tête plantée sur le torse, sans cou,
Est éleveur de porcs à Chanteloup.
Césaire Caron, maigre sous sa biaude bleue,
Montre un visage usé, affreux.
Marie Caron, assise au banc des témoins,
Reste dans son coin,
Mains croisées sur les genoux,
Impavide,
L’air endormi et stupide.
LE PRÉSIDENT :
-« Femme Caron, Dites-nous.
Le détail des faits. »
MME CARON :
-« Ces deux-là m’guettaient. »
Césaire l’interrompit : -« J’étais bu. »
Et Prosper,
Se tournant vers son compère,
Ajouta : -« Eh ! Tous deux, j’étions bus ! »
LE PRÉSIDENT :
-« Femme Caron
Continuez votre déposition. »
MME CARON :
-« V’là Césaire qui m’dit :
‘’-Veux-tu gagner cent sous ?’’
‘’-Oui’’, que j’ dis.
‘’-Ben, va remplir l’ baril qu’est dans la soue.’’
Pendant qu’ j’apportais d’ l’eau
Avec mon sieau,
Eux, i’ buvaient un coup
Et pi encore un coup.
Y a Césaire qui m’ dit : ‘’-Te tracasses pas.
Va ton train ; ton tour viendra.’’
J’ m’occupais point de c’ propos, mé,
Vu qu’il était bu.
Quand l’baril fut plein rasibus,
J’ dis : ‘’-C’est fait.’’
Cornu m’ donne cent sous.
Puis Césaire a ajouté :
‘’-Veux-tu encore gagner cent sous ? ‘’
‘’-Oui’’, que j’ dis.
Alors, i’ m’ dit :
‘’-Débille-té.’’
J’ôte ma jupe, mon caraco,
Pis ma coiffe et mes sabots.
‘’-Garde ta ch’mise et tes bas,
J’ sommes bons enfants’’,
M’dit Césaire tout bas.
Me v’là comme not’ mère Ève quasiment.
Eux, ils m’ piquent dans l’ieau.
J’ai eu une glaçure dans les boyaux.
Cornu m’ pousse la tête pou’ m’ néyer.
L’ieau m’ faufilait dans l’ nez.
J’ voyais déjà l’ Paradis.
Et eux, i’ s’servaient deux fil-en-dix !
Pi, i’ sont tapé
Comme des béliers. »
Mme Caron
Ayant fini sa déposition,
Le président annonça : -« Prévenu
Cornu,
Vous paraissez l’instigateur
De cette machination d’horreur.
Veuillez vous expliquer. »
-« Caron m’avait demandé :
‘‘Avant jeudi, i’ m’ faut mille francs.
Alors, ma femme, j’ te la vends.’’
Moi, Cornu, j’ suis veuf et j’étais bu ;
Vous comprenez, ça m’ remue.
-‘’Combien ça, tu m’ la vends ?’’
Caron réfléchit ou fait semblant :
‘’J’ te la vends
Pour un mètre cube d’eau, soit mille francs.’’
-‘’Mais comment vas-tu litrer
Sauf, si dans l’eau, tu la mets ?’’
Alors, il m’explique son idée,
Pas sans peine, vu qu’il était bu :
-‘’J’emplis d’eau un gros baril, rasibus
Et d’dans, j’ la mets.
Tout liquide qui sortira,
On l’ mesurera.’’
Je lui dis :
-‘’C’est vu, c’est compris.
Mais c’t’ eau qui sortira,
A coulera. Comment tu f’ras ?’’
-‘’Tout c’qu’on r’mettra d’eau,
Ça f’ra la mesure. Si j’ mets dix seaux,
Ça f’ra
Un mètre-cube, voilà.’’
Bref, v’là la suite :
Quand j’allons mesurer le déficit :
…Pas quatre seaux !
Oh ! Oh ! Oh !
Caron déclare :‘’ C’est pas assez.’’ Je’gueule.
Il gueule, je surgueule.
Il tape. Je cogne. Ça dure autant
Que le Dernier Jugement.
Arrivent alors les gendarmes Dupuis et Gerson.
Ils nous sacréandent. Direction la prison !
Le jury consterné
Se retira pour délibérer.
Au bout d’une heure, les jurés sont revenus
…Et acquittèrent les prévenus
Mais avec de sévères considérants,
Appuyés sur la majesté du mariage
Et établissant
La délimitation
Des commerciales transactions.
Les Caron se retirèrent, en bon ménage.
Et Cornu est retourné
Chez lui, d’un pas pressé.