La fabuleuse histoire de la cuisine française (suite)
Dugléré lui confère sa réputation culinaire. Tous les visiteurs du Second Empire défilent dans ses salons. Le Prince Demidoff et le Prince Narischkine, le Duc de Gramont et le Duc de la Rochefoucault, le Duc de Morny, le Prince de Galles, Lord Seymour, les courtisanes de l’époque Anna Deslions, Léonide Leblanc, Blanche d’Antigny. Nous y retrouvons l’excentrique Baron de Saint-Cricq.
C’est peut-être l’excentrique du café Anglais, croqué par Raffet
Roger de Beauvoir le décrit ainsi :
« J’avais devant moi un homme d’une cinquantaine d’années, grand, élancé, mangeant avec son chapeau sur la tête. De ce chapeau avarié, sortaient deux mèches grisâtres. Il portait la barbe longue et mal en ordre, sans col de chemise. Mais à la place , une énorme agrafe d’argent qui retenait le collet d’un long manteau, qu’ai-je dit ?, de deux manteaux superposés avec triple rangées de collets ; il était impossible de deviner s’il y avait dessous vestige d’habit ou de redingote.
Il était attablé un peu avant moi, en tortillant un cure-dent ; il avait devant lui un vaste saladier rempli de mâche et de betterave, qu’il retournait avec une ardeur fébrile. Mon étonnement fut grand en le voyant alors tirer de l’une de ses poches une large tabatière ; il l’ouvrit et saupoudra sa salade de l’air le plus naturel du monde, remua de nouveau le contenu du saladier, puis se versa à boire une verre de Larose.
Cette cuisine nouvelle avait quelque droit de me surprendre, mais lui, sans s’apercevoir le moins du monde de ma stupeur, appela alors un garçon et lui demanda son pot de cold-cream…(.) Ce convive étrange ôta alors son chapeau et se barbouilla littéralement le visage de cette crème… Cela fait, il rouvrit sa tabatière et se lançant à la figure plusieurs pincées de tabac, il s’en saupoudra lui-même comme il avait fait de sa salade… »
« Le déssero » (Lithographie de Raffet))
C’est au café Anglais que le semainier de l’Opéra Comique, Barthélemy Camerani crée, pour remercier Grimod de la Reynière de lui avoir dédié son second Almanach des Gourmands, un potage à base de foies de poulet gras « qui ne doivent avoir été tués, ni par la saignée ni par l’étouffement ». Ce serait là la première application culinaire de l’électricité ; la chair des poulets, ainsi mis à mort, aurait une saveur toute spéciale.
(à suivre)
La fabuleuse histoire de la cuisine Française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant . Editions O.D.I.L.