François Monti, Prohibitions

Par Eric Bonnargent

À boire !
Éric Bonnargent

Miles Adridge


La collection « Les Insoumis » des Belles Lettres a pour objectif de publier de courts essais critiquant les fondements répressifs de l’ordre socio-culturel actuel. Critique littéraire et traducteur né en 1981, François Monti a choisi de s’emparer d’un sujet qu’il connaît bien en tant que chroniqueur à Ginger Magazine et Havana Cocteles : l’alcool. Fruits d’un savoir-faire parfois ancestral, les spiritueux peuvent certes être dangereux lorsqu’on en abuse, mais ont aussi inspirés certaines des plus belles œuvres de la culture humaine et peuvent être dégustés en bonne compagnie. Pourtant, les autorités n’insistent que sur leurs effets pervers. Pour en comprendre les raisons, Monti étudie une politique extrême : la prohibition. Qu’il s’agisse de l’interdiction du gin au tournant du XVIIe et XVIIIe siècle en Angleterre, de celle de l’absinthe en 1915 en France ou de la fameuse Prohibition américaine qui dura de 1919 à 1933, les prétextes invoqués sont d’abord d’ordre sanitaire et moral. Lors de périodes de crise, il faut un responsable et les moralismes nauséabonds en trouvent toujours un : l’alcool. C’est, par exemple, à cause du gin que les mères tuent leurs enfants et tout le monde sait que l’absinthe rend fou et est liée à la tuberculose ( !). Comme par hasard, souligne l’auteur, ce sont les alcools populaires qui sont visés. Le riche sait boire, le pauvre s’enivre : si vous êtes de bonne famille, l’on vous considèrera responsable de vos actes, capable, grâce à votre bonne éducation, de vous contrôler. Rien de tel pour l’ouvrier, pour le pauvre aux instincts bas, prêt à se ruiner pour quelques gouttes d’alcool. En empêchant les pauvres de boire – car les riches, eux, détourneront toujours les interdictions –, on contribuera, croit-on, à l’amélioration de la situation sociale du pays. Les conséquences attendues n’arrivent jamais. Aucune interdiction n’a engendré de baisse significative de la consommation d’alcool, même pas la Prohibition durant laquelle, d’ailleurs, la consommation du vin de messe (bénéficiant d’un passe-droit) explosera. Le basculement dans l’illégalité engendre de surcroît de nombreux problèmes : les produits de contrebande sont de moindre qualité et le crime organisé se développe. Monti rappelle d’ailleurs que les candidats de la mafia ont toujours soutenu les lois en faveur de la Prohibition. L’échec est tel que les États, toujours en quête d’argent, finissent par abroger les interdictions : L’idée est de faire rentrer dans la légalité un commerce qui existe déjà, de faire payer des taxes et d’éliminer les empoisonneurs. La légalisation d’autres produits prohibés aurait sans doute les mêmes effets… Mais la taxation excessive n’est peut-être pas une solution non plus : afin d’éviter l’impôt, les producteurs diminuent le taux d’alcool de leurs produits, ce qui engendre nécessairement une baisse de leur qualité. Comment résoudre le problème de la surconsommation d’alcool sans pénaliser les amateurs ? La solution est bien politique. Monti montre que cette surconsommation est liée à la misère économique et/ou à l’absence de foi en l’avenir : Ce n’est donc pas un hasard que ce soit avec une économie plus ouverte, une augmentation du niveau de vie, une amélioration des infrastructures que la consommation a baissé. L’interventionnisme d’État dans le domaine de la sphère privée échoue toujours : Il serait donc souhaitable de garder une relation saine à la bière, au vin et aux spiritueux. Mais plutôt que de faire confiance à l’individu, de nombreuses personnes pensent qu’il incombe à l’État d’en réguler la production et le commerce, tout comme il le fait pour des produits bien plus dangereux.
Article paru dans Le Matricule des Anges. Mars 2014

Prohibitions De François Monti Les Belles Lettres. 80 pages. 9.5 €