Note du traducteur Philippe di Meo à propos de La Nouvelle jeunesse, paru en 2003 aux éditions Gallimard :
« Ce recueil offre une particularité unique : il se compose en fait de deux recueils qui se superposent pour se confirmer et se démentir. La Nouvelle jeunesse reprend La meilleure jeunesse de 1953 auquel elle fait suivre La Nouvelle jeunesse qui donne son titre au nouveau recueil. Celui-ci reprend presque chaque poème de la première version pour lui donner un sens diamétralement opposé. La pulsion initiale s'en trouve confirmée mais sa transposition poétique est dénoncée implicitement comme mensonge : le second livre venant caviarder le premier pour le sacraliser et l'outrager. Un troisième titre potentiel est postulé d'étrange façon : comme espace interstitiel entre des deux versions d'un même texte offertes au public.
Ces poèmes sont écrits en frioulan. Pasolini en avait donné en bas de page une version italienne. C'est pourquoi, avec ma version française, nous obtenons un recueil trilingue. »
Philippe di Méo propose ici les deux versions des poèmes, chacun dans les trois langues, traduction française, original en frioulan, auto-traduction de Pasolini en italien.
L’enfant mort
Soirée aveuglante, dans le fossé
l’eau monte, une femme enceinte
marche à travers champs.
Je me souviens de toi, Narcisse, tu avais la couleur
du soir lorsque les cloches
sonnent le glas.
Il nini muart
Sera imbarlumidia, tal fossàl
a cres l’aga, na fèmina plena
a ciamina pal ciamp.
Jo te ricuardi, Narcìs, ti vèvis il colòur
de la sera, quand li ciampanis
a súnin di muàrt.
(frioulan)
Il fanciullo morto
Sera luminosa, nel fosso
cresce l’acqua, una donna incinta
cammina per il campo.
Io ti ricordo, Narciso, avevi il colore
della sera, quando le campane
suonano a morte.
(italien, autotraduction de Pasolini)
○
Il pleut sur les confins
Petit garçon, le Ciel pleut
sur les foyers de ton pays,
sur ton visage de rose et de miel
le mois naît pluvieux.
Le soleil noir de fumée,
sous les branches des mûriers
te brûle, et, aux confins,
toi seul chantes les morts.
Petit garçon, le Ciel rit
sur les balcons de ton pays ;
sur ton visage de sang et de fiel,
le mois meurt rasséréné.
Ploja tai cunfíns
Fantassút, a plòuf il Sèil
tai spolèrs dal to país,
tal to vis di rosa e mèil
pluvisín al nas il mèis.
Il soreli scur di fun
sot li branchis dài moràrs
al ti brusa e sui cunfíns
tu ti ciantis, sòul, i muàrs.
Fantassút, al rit il Sèil
Ttai barcòns dal to país,
tal so vis di sanc e fièl
serenàt al moùr il mèis.
Pioggia, sui confini
Giovinetto, piove il Cielo
sui focolari del tuo paese,
sul tuo viso di rosa e miele,
nuvoloso nasce il mese.
Il sole scuro di fumo,
sotto i rami del gelseto,
ti brucia e sui confini,
tu solo, canti i morti.
Giovinetto, ride il Cielo
sui balconi del tuo paese,
sul tuo viso di sangue e di fiele,
rasserenato muore il mese.
(italien)
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L’enfant mort
Soir lumineux, le fossé
est à sec, l’ombre d’une femme enceinte
marche à travers champ.
Sans revenir et sans rêver de toi, Narcisse, je sais encore
Que tu avais la couleur du soir
Lorsque les cloches sonnaient le Mai.
Il nini muart
Sera imbarlumida, il fossàl
al è sec, l’ombrena di ‘na femina plena
a ciamina pa’l ciamp.
Sensa tornà nè insumiàti, Narcìs, i sai
Enciamò ch’I vevis il colòur de la sera
Cò’ li ciampanis a sunin il Mai.
(frioulan)
Il bambino morto
Sera luminosa, il fosso
è secco, l’ombra di una donna incinta
cammina per il campo.
Senza tornare né sognarti, Narciso, io so
ancora che avevi ancora il colore della sera
quando le campane suonano a morte.
(italien, autotraduction de Pasolini)
○
Pluie nulle part
Esprit d’enfant, le Ciel pleut
sur les foyers d’un pays mort :
sur ton visage de miel et de merde
un mois naît pluvieux.
Le soleil blanc et brillant,
au-dessus de l’asphalte et des maisons neuves,
t’étourdit, et toit, nulle part,
tu n’as plus d’amour pour les morts.
Esprit d’enfant, le Ciel rit
sur un pays désormais sans fumée :
sur ton visage de pisse et de fiel,
se meurt un mois jamais né.
Ploja fòur di tut
Spirt dui frut, a plòuf il Sèil
tài spolers di un muàrt país,
tal to vis di merda e mèil
pluvisín a nas un mèis.
Spirt di frut, al rit il Séil
ta un país sensa pí fun.
Tal to vis di pis e feil,
mai nassút, al mòur un mèis.
(frioulan)
Pioggia fuori di tutto
Spirito di ragazzo, piove il Cielo
sui focolari di un paese morto,
nel tuo viso di merda e miele,
piovigginoso nasce un mese.
Il sole bianco e lustro,
sopra asfalto e case nuove,
ti rintrona, e tu, fuori di tutto
non hai più amore per i morti.
Spirito di ragazzo, ride il Cielo,
su un paese senza più fumo :
nel tuo viso di piscio e fiele, n
non mai nato, muore un mese.
(italien, autotraduction de Pasolini)
Pier Paolo Pasolini, La Nouvelle jeunesse, traduit du frioulan et de l’italien par Philippe di Meo, Gallimard, 2003.