Moses Herzog, universitaire à l’approche de la cinquantaine, vient de se faire quitter par Madeleine, sa seconde épouse pour se mettre en ménage avec son amant, le meilleur ami de Moses. Herzog sombre alors dans la déprime et se met à rédiger des lettres ressassant ses griefs – qui ne seront jamais postées - à un peu tout le monde, de Nietzsche à Dieu, à des hommes politiques ou à lui-même. « Peut-être que j’ai perdu l’esprit, mais ça ne me dérange pas, songea Moses Herzog. » Les lettres vont faire ressurgir des souvenirs, proches ou lointains mêlés au présent et nous allons voir défiler une foule de personnages, Daisy sa première femme dont il a eu un fils Marco, Madeleine la seconde avec laquelle il a engendré Junie sa fille dont il voudrait récupérer la garde, Ramona sa maîtresse actuelle, sa famille, son psychiatre, son avocat…
Roman dense et touffu, narration et lettres écrites par Herzog s’interpénètrent, personnages multiples déclenchant des digressions à n’en plus finir d’où la longueur du roman. J’ai parfois (souvent ?) râlé in petto contre cette histoire interminable, mais pourtant, impossible de lâcher le bouquin ; il n’y a aucun suspense mais l’écriture et son rythme m’ont bercé jusqu’à l’épilogue. De la relative indifférence du début je suis passé à l’intérêt pour le sort de cet Herzog qui finalement n’est pas un mauvais bougre mais un homme un peu paumé dans un monde qui lui échappe au point qu’il en arrive à s’interroger « Ce qui l’ennuyait, pourtant, c’est qu’elle ne le reconnaissait pas comme américain. Ca le blessait ! Qu’était-il d’autre ? A l’armée, ses camarades aussi l’avaient considéré comme un étranger. » Finalement, après s’être longuement débattu avec ses démons intérieurs, quand le roman s’achève, Moses Herzog revient dans la maison de campagne du Massachusetts qu'il a habitée dans les premiers temps de son mariage avec Madeleine, il paraît avoir retrouvé une sorte de sérénité, « Ce qui l’avait possédé au cours de ces derniers mois, cet envoûtement, il semblait sur le point d’en être délivré pour de bon.»
Saul Bellow confie à Moses Herzog des éléments de sa propre vie, le juif-russe passant par le Canada ou le père bootlegger distillant son alcool. Sans vouloir faire de comparaison – ce qui serait faux ou nous entrainerait trop loin – le roman rappelle l’univers d’un Philip Roth ou d’autres écrivains juifs américains (qualificatif que Roth renierait – mais comme il ne me lira pas…) : le héros est un intellectuel tourmenté « Tu es le vrai, l’authentique exemple du Juif qui creuse jusqu’au fond des émotions », le sexe et les femmes difficiles à comprendre, le psychiatre, les maladies etc. Pour le confort, on regrettera que cette édition n’offre pas un court lexique yiddish en fin d’ouvrage.
« Ainsi, Edvig, écrivit-il, vous aussi, vous êtes un escroc ! Quelle pitié ! Ce n’était pas une façon de commencer. Il reprit : Mon cher Edvig, j’ai des nouvelles pour vous. Oui, voilà qui est beaucoup mieux. Une chose agaçante chez Edvig : il se comportait comme si lui seul avait des nouvelles à annoncer – cet Edvig avec son calme de protestant nordique anglo-celte et sa petite barbe grisonnante, intelligent, les cheveux ondulés, bouffants, et les lunettes rondes, fines, étincelantes. Je dois admettre que je suis venu vous voir dans de mauvaises conditions. Pour que nous restions ensemble, Madeleine avait exigé que je suive un traitement psychiatrique. Si vous vous souvenez, elle disait que j’étais dans un état mental dangereux. »
Nouvelle traduction de l'anglais (États-Unis) par Michel Lederer