LA PATRONNE (d'après Maupassant)
J’étais à Paris étudiant en droit
Et logeais dans une pension sévère
Que mes parents réglaient chaque mois.
La patronne de mon logis avait l’air
D’un capitaine commandant un paquebot.
D’une voix forte,
Très forte,
Cette femme décidait tout d’un mot
Mais elle me soignait comme une mère,
Mieux qu’une mère.
Elle entrait souvent
Dans mon appartement,
Pour vérifier si mon lit était fait
Et mes habits correctement brossés.
Elle devait avoir quarante ans environ.
Moi, n’ayant jamais quitté le Pays Normand,
J’avais décidé de vivre joyeusement
Et de toutes les façons !
Je lui déclarai que je voulais rentrer
À l’heure qui me plairait.
-«Vous ne devez pas trainer toute la nuit.
Il est interdit de rentrer après minuit. »
-« Madame, d’après la loi,
Vous êtes tenue de m’ouvrir à toute heure.
Si vous refusez, j’irai coucher ailleurs
Et à vos frais. C’est mon droit. »
Je dus lui faire impression
Car, depuis, elle me traita
Avec une faveur marquée.
Elle avait pour moi des attentions,
Des petits soins, des délicatesses
Et même une certaine tendresse
Qui ne me déplaisait pas.
Quelquefois, pendant les repas,
Par surprise, je l’embrassais…
Rien que pour la gifle qu’elle me lançait !
Mais voilà
Que je fis la connaissance
D’Emma,
Une belle étudiante en sciences.
Comme la patronne se couchait à dix heures,
Je la fis venir à la pension
À onze heures.
J’ouvris la porte avec précaution
Et nous montâmes l’escalier
Sur la pointe des pieds.
Puis je devins pressant.
J’enlevais un à un ses vêtements.
Emma cédait, mais résistait un peu,
Retardant l’instant fatal et délicieux.
Elle n’avait plus sur elle qu’un jupon
Quand tout à coup ma porte s’ouvrit.
Entrait la patronne de la pension
…Dans la même tenue qu’Emma :
-« Je ne veux pas de fille ici ! »
-« Mademoiselle n’est qu’une amie.
Elle venait prendre le thé. »
-« On ne se met pas dans cette tenue
Pour prendre une tasse de thé.
Chassez-moi cette fille des rues ! »
Emma se rhabilla et affolée,
S’élança dans l’escalier.
Je l’ai rattrapée en bas
Et la retint par le bras
Mais elle me repoussa :
-« Laissez-moi…Ne me touchez pas ! »
Je remontais, penaud, désemparé.
La chambre de la patronne était ouverte :
-« J’ai à vous parler, entrez ! »
Je m’arrêtais devant elle, en baissant la tête.
Elle avait croisé les bras sur sa poitrine
Que couvrait mal une chemise de soie fine.
-« Je ne veux pas de filles chez moi,
Comprenez-vous ?
Je ferai respecter mon toit.
Entendez-vous ? »
Accumulant les indignations,
Elle m’accablait
Sous l’honorabilité de sa maison
Et me lardait
De reproches mordants.
Au lieu de l’écouter,
Je la regardais,
N’entendant
Plus un mot,
Mais plus un mot…
Je voyais son admirable poitrine,
Et sa lèvre me parut mutine.
Je n’aurais pas
Imaginé qu’il y eut des appâts
Aussi appétissants
Sous un si léger vêtement.
Elle semblait rajeunie de dix ans
En son déshabillé !
Et voilà que, bizarrement,
…Je me suis senti tout remué.
Je retrouvais
La situation précédente
…Et presqu’aussi tentante !
J’ai regardé son lit.
Hum ! Ce lit !
Il devait faire là aussi
Bon que dans un autre lit.
Quoi de plus troublant qu’un lit défait ?
Celui-là me grisait.
La patronne maintenant
Me parlait doucement
Comme si elle allait m’accorder son pardon.
-« Voyons…, voyons… »
Je la saisis
Et me mis
À l’embrasser, mais à l’embrasser !
Elle se débattait…sans se fâcher.
Et dix fois répéta :
-« Oh ! La canaille…la canaille…la ca… »
Elle ne put achever. Je l’avais enlevée
Et l’emportais.
Je rencontrai le bord du lit.
J’y suis tombé… sans la lâcher…
Il y faisait fort bon dans ce lit.
Une heure après,
Glissée à mon côté,
Contente
Et reconnaissante
Elle gazouillait comme une caille :
-« Oh !...la canaille !...la canaille !... »