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PAR JADE LINDGAARDAlors qu’Anne Hidalgo dévoile lundi son plan de lutte contre la pollution de l’air, et qu’une proposition de loi doit être déposée au Sénat, pour la première fois, des gendarmes enquêtent sur la pollution de l’air. Deux plaintes contre X ont été déposées pour mise en danger d’autrui, la même infraction que dans les procédures sur l’amiante.
Une du Parisien, le 11 mars 2014.C’est une investigation d’un nouveau genre que les gendarmes conduisent ces temps-ci : pour la première fois, une enquête préliminaire sur la pollution de l’air a été ouverte par le pôle judiciaire spécialisé en santé publique d’Arcueil. Elle fait suite à la plainte contre X pour exposition d’autrui « à un risque immédiat de mort ou de blessures » par« la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence », déposée par les associations Écologie sans frontière et Respire. En cause : le dépassement répété des seuils de pollution atmosphérique à Paris et dans d’autres grandes villes françaises comme Marseille.
Cela concerne les particules fines (PM10 et 2,5), associées à une augmentation de la mortalité pour causes respiratoires et cardiovasculaires. Mais aussi : le dioxyde d’azote (NO2), un gaz irritant pour les bronches qui accroît les crises d’asthme ; l’ozone (O3), gaz irritant pour l’appareil respiratoire et les yeux ; le dioxyde de soufre (SO2), irritant pour les muqueuses de la peau et des voies respiratoires ; les composés organiques volatils et le monoxyde de carbone. Ces polluants proviennent des gaz d’échappement des véhicules diesel (deux fois plus émetteurs d’oxyde d’azote que les moteurs à essence), du chauffage (dont le chauffage au bois, responsable du quart environ des PM10 rejetées dans l’air en Île-de-France), du transport aérien, et de la pollution industrielle (un tiers des PM10 dans l’air francilien).
Lundi 19 mai, Anne Hidalgo présente un plan de lutte contre la pollution de l’air, qui veut réduire la circulation automobile à Paris et viser une sortie du diesel d’ici 2020. Mais la capitale n’a pas le pouvoir de décider quel type de véhicule circule sur ses routes. C’est la préfecture de police, et donc l’État, qui peut réduire la vitesse de circulation ou imposer la circulation alternée, comme elle l’a fait le 17 mars dernier.
Les requérants reprochent aux pouvoirs publics de ne pas avoir utilisé les moyens à leur disposition pour réduire cette pollution, alors que les informations scientifiques s’accumulent depuis trente ans sur ses effets délétères sur la santé des riverains. La plainte des deux associations a été déposée le 11 mars devant le tribunal de grande instance de Paris. Quelques jours plus tard, Nadir Saïfi, vice-président d’Écologie sans frontière, était entendu par les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaeps). « Voir des gendarmes enquêter sur la pollution de l’air, pour moi, c’est un grand moment », dit-il. Le 24 mars, une semaine après la journée de circulation alternée, une enquête préliminaire était ouverte.
« Pourquoi en arrive-t-on là ? Ça fait 16 ans qu’on travaille sur ce sujet et rien ne change ! » explique Franck Laval, membre du conseil d’administration d’Écologie sans frontière, et ancien de Génération Écologie avec Jean-Louis Borloo, au début des années 90. « La courbe des dépassements de seuil de particules fines ne cesse de s’élever. Le but, ce n’est pas d’envoyer des gens en prison, mais de limiter la pollution et de protéger la santé publique. La santé ne peut pas être une variable d’ajustement de l’économie. »Pour ces militants associatifs, l’ouverture d’une enquête préliminaire est une première victoire symbolique : la reconnaissance du sérieux de leur combat. À l’issue de l'enquête des gendarmes, le Parquet peut classer la plainte sans suite, renvoyer directement devant le tribunal correctionnel ou demander l’ouverture d’une information judiciaire et la nomination d’un juge d’instruction, ce qui serait une première.
Dans une autre procédure, le parquet de Chambéry vient lui aussi d’ouvrir une enquête préliminaire pour mise en danger de la vie d'autrui après la plainte déposée par quatre députés écologistes en septembre 2013, en lien avec le fret routier passant par les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.Paris recouvert d'un nuage de pollution, 13 mars 2014 (Reuters).La plainte francilienne repose sur un argument juridique principal : la notion d’« obligation de sécurité de résultat », au cœur des procédures sur l’amiante. Développée par la chambre sociale de la Cour de cassation, elle se comprend comme une obligation de résultat, et pas seulement de moyens, pour les employeurs dans la protection de leurs employés contre les risques d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Les pouvoirs publics pouvaient-ils ignorer les conséquences du non-respect des seuils de pollution de l’air ? Non, affirment les requérants. La pollution atmosphérique est-elle en train de devenir un nouveau scandale de l’amiante ? « Il n’y a pas aujourd’hui de plus grand drame sociétal en France que l’amiante, qui pourrait causer 3 000 morts par an jusqu’en 2025, soit dix morts par jour, analyse François Lafforgue, avocat des associations et membre d’un cabinet (Teissonnière-Topaloff) reconnu pour son expertise en santé environnementale et professionnelle (saturnisme, irradiés des essais nucléaires, amiante). « Mais il y a des ressorts que l’on peut comparer : la mise sur le marché de véhicules polluants, la désinformation réfléchie sur les “véhicules propres”,le filtre à “zéro particule”, la complicité des pouvoirs publics », ajoute l’avocat.Concernant la pollution de l’air, l’une des principales difficultés à la reconnaissance juridique des responsabilités est liée à la source diffuse des polluants : circulation automobile, chauffage, activité industrielle. D’où la plainte contre X, qui ne vise pas un ou des auteurs de fait en particulier. Mais en filigrane, c’est bien l’État, et son défaut de réactions, qui est visé. « Le droit, c’est ce qui peut ébranler les lobbies, il peut y avoir une brèche », analyse Nadir Saïfi, pour qui : « Il y a des lobbies et il y a la complicité des pouvoirs publics qui accompagnent ces lobbies. »
Le premier document officiel français à établir un lien ente les particules fines et les cancers est le rapport Roussel, en 1983, commandé par les ministères de la santé et de l’environnement pour étudier l’impact médical des pollutions d’origine automobile. Suivront un programme de surveillance épidémiologique sur neuf grandes villes françaises (PSAS), entre 1997 et 2008. Puis le projet Aphekom, une autre étude, à l’échelle européenne, entre 2008 et 2011, conclut que les dépassements en concentration de particules fines et d’ozone dans les grandes villes françaises sont réguliers. Et qu’habiter à proximité de voies à forte densité de trafic automobile pourrait être responsable de 15 à 30 % des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant, ainsi que des problèmes respiratoires et cardiovasculaires chez les 65 ans et plus.En 2012, le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe les gaz d’échappement diesel comme cancérogènes certains pour l’homme. En décembre 2012, l’observatoire régional de santé d’Île-de-France explique que « les expositions aiguës et chroniques à ces niveaux de pollution atmosphérique contribuent à la dégradation de l’état de santé des populations ». À l’automne 2013, le CIRC classe la pollution de l’air comme cancérogène avéré et estime que l’exposition à l’air pollué favorise les cancers du poumon et de la vessie. En octobre 2013, le Commissariat général au développement durable estime que la pollution de l’air coûte de 0,7 à 1,7 milliard d’euros par an au système de soins en France. Entre 400 000 et 1,4 million de nouveaux cas d’asthme par an sont attribuables à la pollution.
Les pouvoirs publics ne sont pas inactifs. Ségolène Royal vient de saisir le Conseil national de l’air du train de mesures qu’elle souhaite annoncer rapidement : adoption avant la fin de l’année des plans de protection de l’atmosphère en attente, harmonisation des conditions de déclenchement des mesures de prévention, des mesures dans le plan national de santé environnemental en cours d’élaboration. Selon Airparif, la journée de circulation alternée en mars a eu un effet visible en réduisant de 6% la concentration de particules.
Mais en septembre 2013, lors de la deuxième Conférence environnementale, les associations de santé environnementale (dont le Réseau environnement santé d’André Cicolella) ne sont même pas conviées aux tables rondes. Le sujet avait même disparu des radars quand Philippe Martin occupait le ministère de l’écologie.
Les incohérences ne manquent pas. Ainsi, en mars 2013, un plan de protection de l’atmosphère pour l’Île-de-France a-t-il été adopté. Mais en réalité, sa capacité à protéger les habitants est bien faible. Au mieux, il compte revenir « sous les seuils réglementaires de pollution atmosphérique à l’horizon 2020 » (voir ici, p. 18). C’est l’acceptation tacite de la continuation d’une pollution aux effets sanitaires néfastes avérés pendant encore au moins six ans. Ségolène Royal en a fait l’une de ses priorités lors de sa conférence de presse programmatique (voir ici). Sur ce sujet de plus en plus sensible dans l’opinion publique, ses annonces et surtout leur mise en œuvre seront un marqueur de sa capacité ou non à mener une politique sociale de l’écologie.