Mustafa Nayyem est le rédacteur en chef de Hromadskie TV, une chaîne de télévision indépendante diffusée également sur Internet qui a commencé à émettre en novembre dernier, précisément une semaine avant le début des protestations sur la place de l’Indépendance de Kiev. C’est son message sur Facebook, dans l’après-midi du 21 novembre, qui provoque le premier rassemblement sur le Maïdan.Mediapart. Les Ukrainiens votent pour élire leur nouveau président. Parmi les candidats, la plupart sont des personnalités qui étaient déjà au pouvoir ces dernières années, et le favori n’est autre qu’un oligarque, Petro Porochenko. N’est-ce pas contradictoire avec les idéaux portés par le mouvement du Maïdan ?Mustafa Nayyem. Cela peut paraître un paradoxe, mais en réalité, ce qu’il faut comprendre, c’est que cette révolution n’a pas pu être achevée. Pour le moment, nous n’avons pas de vrai gouvernement et le pays traverse une guerre depuis trois mois : c’est à travers le prisme de l’urgence que les Ukrainiens vont voter, et non pas à travers le prisme du Maïdan. Si l’on ne comprend pas cela, on ne peut pas comprendre pourquoi Arseni Iatseniouk, qui ne pesait que 6 % dans les sondages pendant le Maïdan, est aujourd’hui premier ministre, ni pourquoi Olexandr Tourtchynov, qui n’était même pas mentionné dans les enquêtes d’opinion, est aujourd’hui président par intérim.Je vous rappelle que les leaders de l’opposition politique, à savoir Vitali Klitchko, Arseni Iatseniouk, et Oleg Tyagnibok, n’étaient pas soutenus par la population mobilisée sur le Maïdan. L’accord qu’ils ont signé le 21 février avec Viktor Ianoukovitch, alors président, n’a pas été accepté par les manifestants, qui ont refusé toute forme de compromis après le bain de sang des 19 et 20 février... Or ce sont ces mêmes personnalités ou leurs proches collaborateurs qui sont aujourd’hui candidats aux élections présidentielle et municipale ! Cette configuration, bien évidemment, n’est pas le résultat de Maïdan : c’est la conséquence d’un état de guerre.
RÉVOLUTION EN UKRAINE ENTRETIEN Mustafa Nayyem: « En Ukraine, nous n’avons fait qu’une moitié de révolution »
Publié le 25 mai 2014 par Blanchemanche
24 MAI 2014 | PAR AMÉLIE POINSSOTTandis que les européennes annoncent une abstention record, il est un vote qui va au contraire fortement mobiliser : le scrutin présidentiel ukrainien, couplé avec les élections municipales dans une quinzaine de grandes villes, dont la capitale. Mais cinq mois après le début de la révolution, les enjeux de ces scrutins semblent aux antipodes des idéaux portés par le Maïdan. Rue Institutska, l'artère qui donne sur le Maïdan où des dizaines de manifestants ont été assassinés par les snipers © Amélie Poinssot Le Maïdan, au centre de Kiev. A droite, la maison des syndicats, qui a brûlé en février © Amélie PoinssotAprès tous ces événements, que va devenir le lieu en lui-même du Maïdan – la place de l’Indépendance de Kiev ?À vrai dire, cela ressemble déjà plus à un monument du Maïdan qu’au Maïdan lui-même : c’est devenu un cimetière. J’y suis passé trois ou quatre fois depuis la fin des manifestations, et je dois dire que cela m’a rempli de tristesse. Je me souviens de ces nuits de mobilisation, ces moments très vivants et joyeux... Après tout cela, je ne peux pas m’imaginer les voitures circuler à nouveau sur la place, et je pense d’ailleurs que personne n’acceptera que l’on y rétablisse la circulation. On ne pourra de toute façon jamais effacer les traces de ce qui s’y est passé.Cela dit, aujourd’hui, l’objet physique du Maïdan et le concept du Maïdan se différencient. La plupart des activistes qui étaient présents sur la place n’y sont plus, et n’ont rien de commun avec ceux qui y sont encore aujourd’hui. Ceux que l’on y croise à présent sont des gens blessés psychologiquement, qui ont perdu le sens pacifique, qui ont vécu là jour et nuit et se retrouvent maintenant un peu perdus dans une nouvelle réalité, ils n’arrivent pas à rentrer chez eux. Ils s’imaginaient qu’ils allaient continuer la lutte, mais maintenant le front est ailleurs et c’est une autre guerre qui est passée sur le devant de la scène : il n’y a pas de victoire à célébrer.