La naissance et l'essor de l'information écrite en Europe sont décrits et analysés minutieusement, longuement, par cet historien, sans parti pris. Comment les sociétés européennes ont pris conscience d'elle-mêmes, au miroir des médias de leur époque. Comment l'information a pris le pouvoir, et les pouvoirs l'information, du manuscrit au Moyen-Age à l'expansion de l'imprimerie avec les Lumières. En même temps que la pratique et l'exploitation de l'information, son évolution matérielle, l'auteur met à jour la "gestion de l'opinion publique". Andrew Pettegree est Professeur d'histoire à St. Andrews en Ecosse. Il est connu pour ses ouvrages sur la Renaissance et le protestantisme (Reformation and the culture of Persuasion, 2005), sur l'histoire des débuts du livre (The Book in the Renaissance, 2011). Son ouvrage est remarquablement documenté.
Quatre siècles d'histoire de l'information passés au peigne fin montrent les métiers qui se construisent et se mêlent : journalisme, information à fin commerciale, à fin politique, militaire. Le rôle organisateur de la poste et de ses réseaux dans l'établissement d'un marché de l'information est minutieusement exposé. L'auteur suit patiemment la lente émergence d'une société d'information, sa division du travail, le marché des faits d'information, leur valeur, leur packaging. Si toute information semble d'abord gratuite, il faudrait y regarder de plus près, suivre sa place dans les échanges car lorsque l'information est rare, sa monétisation est discrète. L'auteur montre la structuration courante, progressive de l'information : la périodicité régulière de la publication, les contenus tissant l'ordinaire et l'extra-ordinaire, la narrativité ("customary narrative structure of news"). Ainsi se développent aussi la formation du métier de lecteur (un public, un lectorat, une communauté, un parti), des attentes tacites, des habitudes, un habitus de lecteur. L'arbitraire d'une culture média émerge, dissimulé dans le volume d'informations, son industrialisation ("steam-powered knowledge"), la répétition continue (que généralise et amplifie le Web).
Le journal et sa lecture régulière, l'abonnement confèrent aux lecteurs, aux abonnés un statut social : le journal est à la mode, il connote la participation sociale, la contribution à la culture et au comportement politique. L'hégémonie politique de l'information et du journal est telle que Jefferson pouvait déclarer : "were it left to me to decide whether we should have a government without newspapers or newspapers without a government I should not hesitate for a moment to prefer the latter". Quatrième pouvoir ? La presse et les médias ne sont-elles pas une organisation du pouvoir ?
L'ouvrage décrit l'avénement d'une époque : "the age of the newspaper". Prisonniers du support, du papier, de la périodicité, des formats de présentation et de narration, empêtrés dans des stratégies de conservation, il nous est impossible de concevoir que cet âge s'achève tandis que l'on est de plus en plus dans un âge d'information. Le numérique fait exploser le journal. La data autorise de nouvelles organisations de toute l'information (tags, clusters, taxonomies et folksonomies), des modes de recherche et des modes d'exposition, de consommation même. De nouvelles formes d'intelligence éclosent de l'auto-organisation des données. L'aribtraire historique du journal est évident tandis que les médias, les supports s'accumulent, subsistent : l'oral, le manuscrit, l'imprimé, le numérique coexistent et charrient chacun les informations, laissant un peu de place à la nostalgie et à ses illusions.