Il cherche à éviter une déroute, c'est une mauvaise habitude. François Hollande aborde le scrutin européen du 25 mai dans les pires conditions imaginables: le "projet européen" a déçu, la crise est toujours là, et sa propre impopularité n'améliore rien.
Des élections sacrifiéesOn peut sourire en apprenant qu'Hollande prendra la voiture plutôt qu'un Falcon présidentiel pour aller voter à Tulle. Il faut motiver l'électeur. Ces élections parlementaires européennes ont pourtant été sacrifiées.
Tout semble fait pour décourager l'électeur. Il y eut d'abord les caricatures et autres amalgames faciles. Toute critique de l'Union européenne était rapidement qualifiée de populiste. Il y eut ensuite l'absence de campagne. A qui profite ce crime contre la démocratie ?
Le premier débat télévisé d'importance n'a eu lieu que le 22 mai sur France2, avec quelques ténors des différents partis, qui n'étaient même pas tous candidats ! Les petits partis sont oubliés. Le service public de la télévision française s'était refusé à retransmettre les débats entre postulants à la présidence de la Commission. Les programmes ne sont enfin commentés que quelques jours avant l'élection.
A quelques heures du scrutin, on ne comptait plus le nombre de panneaux électoraux encore dénués d'affiches. En France, le nombre de listes concurrentes dépasse souvent la trentaine. On trouve même une improbable "Alliance Royale". Le MRC, le parti de Jean-Pierre Chevènement, fait campagne... pour l'abstention. Nicolas Dupont-Aignan, pour fustiger la "porosité" des frontières intra-européennes transporte une kalachnikov d'Italie en France dans son coffre de voiture. Du grand n'importe quoi ! Le Front National placarde des photos de la jeune Leonarda, expulsée l'an dernier dans les conditions que l'on connait: l'appel au réflexe xénophobe comme argument électoral ?
Cette campagne sent le moisi.
Seuls Europe Ecologie Les Verts et le Front de gauche sont parvenus, contre vents et marées, silences et gênes, à placer la négociation du Traité transatlantique au centre du débat. Jeudi 22 mai, un projet de loi déposé par la gauche est voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Il réclame "une meilleure information des représentants de la Nation par le Gouvernement sur l’état des négociations," et l'identification des "éventuels conflits d’intérêts" des négociateurs.
La crise aurait dû mobiliser.
Mais ce n'est pas le cas, comme si l'électorat, euro-sceptique mais découragé, avait baissé les bras.
Scrutin oblige, on oublie quelques jours l'économie nationale. On a tort. Les nouvelles du front économique ne sont pas fameuses. L'Unedic ne voit pas le chômage baisser d'ici à 2017. Et prévoit 103.000 chômeurs de plus en 2014. Au premier trimestre de cette année, la croissance économique en France a été ... nulle. En cause, la consommation des ménages a encore chuté (-0,5%), tout comme l'investissement des entreprises (-0,5% également). Michel Sapin, aux Finances, joue les équilibristes: "Ce sont les chiffres du premier trimestre : c'est le moment où le président de la République, il en a eu l'intuition, a dit “on doit accélérer, on doit approfondir parce qu'on doit accélérer la croissance”.
On croyait que "la reprise était là".
Michel Sapin préférait nous divertir avec la fraude fiscale. Jeudi, un plan 2014-2015 est adopté pour renforcer encore les sanctions. D'année en année, la traque aux évadés fiscaux améliore son rendement, et c'est tant mieux. En quatre mois, l'Etat a récupéré 648 millions d'euros. Sur l'année 2014, il espère un milliard d'euros de plus que prévu (800 millions), ce fameux milliard que Manuel Valls a généreusement accepté de "rendre" pour baisser l'impôt sur le revenu des plus modestes. "Les Français verront dès septembre l'application de cette décision" sur les impôts, promet-il mardi à l'Assemblée.
L'examen du pacte de responsabilité se poursuit. Chaque administration s'inquiète. Le Canard enchaîné" affirment que "les chefs d'état-major des trois armées (Terre, Air, Marine) envisageraient de démissionner en bloc si le budget devait être encore rogné". Un courrier alarmiste du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian à Manuel Valls est fuité dans la presse. Ce dernier rassure: non, il n'y aura pas de nouvelles coupes budgétaires au-delà de ce qui était prévu l'an dernier dans la Loi de Programmation militaire: "Il est temps de tourner la page de ce débat, de ces rumeurs".
Mais où donc vont se loger les 50 milliards d'euros d'économie ? La Défense coûte quelque 31 milliards d'euros par an.
A Paris, les frontières de la dérégulation ridicule ont été dépassées quand le Canard Enchaîné révéla que la SNCF était contrainte de réaménager 1.300 quais de gare (sur 8.700) à cause de la livraisons de rames trop larges. "Un manque d'explications et de pédagogie" a tardivement commenté le patron de l'entreprise publique. Une député socialiste a réclamé sa tête. De Le Pen à Copé, de Cambadélis à Mélenchon, chacun a trouvé une bonne raison pour fustiger l'erreur. Pourtant, sur le fond, agrandir les trains pour transporter davantage de personnes est une excellente idée, éco-responsable à souhait.
Une nouvelle déroute ?
En 2009, le Parti socialiste, alors dans l'opposition, s'était effondré à 16% des suffrages, juste derrière Europe Ecologie Les Verts, la nouvelle alliance écologiste. Certains accusèrent la diffusion de "Home", un documentaire de Yann Arthus-Bertrand, le vendredi précédent le scrutin. La référence de 2009 est bien basse, si basse qu'un maigre score mais légèrement supérieur suffira au bonheur de quelques hiérarques du parti socialiste.
Manuel Valls fait donc campagne. Mardi, il exhorte "nos compatriotes" à aller voter. Il rencontre le mentor de "Pépère", Jacques Delors. Mercredi, il est à Barcelone, pour un meeting du PSOE. Il s'exprime en espagnol, en catalan et même en français. Il rabâche qu'il est né là-bas, et combien son parcours est exemplaire d'une France ouverte. Il a des accents presque gauchistes quand il fustige Barroso, le gouvernement conservateur local, ou encore "l'Europe de droite qui a échoué". On est loin des odes à la compétitivité qui polluent le discours national. Sur l'estrade, en espagnol ou en catalan, Manuel Valls ose tout, même l'improbable: "Si vous voulez voir une politique de gauche, regardez ce que nous faisons en France".
"Efficacité", "rapidité" et "justice", trois qualificatifs de ses 4 mois et 20 jours qu'il confie au Petit Journal de Canal+. ..
On est dans la com' et le vide. Fallait-il une énième fois ressortir ces quelques "dossiers", qui ont provoqué un grave divorce à gauche sans convaincre le pays ?
Jeudi, la ministre du logement, la jeune radicale Silvia Pinel, promet une "journée historique" dimanche. Elle ne croit pas si bien dire. "Des fois on gagne, des fois on perd", Jean-Christophe Cambadélis enfonce quelques portes ouvertes.
Sarko accélère
A droite, Nicolas Sarkozy sort de son silence. Il anticipe son retour contre Hollande en 2017. La photographie qui illustre sa tribune publiée dans le Point est drolatique: on le voit deux téléphones en main. On se rappelle la ligne clandestine, ouverte sous un faux nom (Paul Bismuth), qu'il utilisait pour échapper aux juges. Sarkozy donne ses leçons pour sortir de la crise: une Europe à deux vitesses, essentiellement franco-allemande; et la révision des accords de Schenghen pour mieux fermer les frontières nationales à l'intérieur de l'Union. Très peu est dit sur les failles démocratiques, rien sur l'austérité, ou le diktat des banques centrales. Pour "sauver" l'Europe, Sarko suggère d'en sortir vers une version allégée, libérale pour les entreprises, autoritaire pour les hommes. On a caché son pote Berlusconi, contraint aux travaux d'intérêt général pour cause de fraude en tous genres.
La tribune est publiée simultanément en Allemagne par Die Welt. Le bide est total. Aucun autre média allemand ne relaye, tout le monde s'en fiche.
Surtout, Sarkozy choisit aussi Valeurs Actuelles pour expliquer tout bas ce qu'il n'ose dévoiler tout haut. Dans l'hebdo de la droite furibarde, qui réclame le retour d'un "vrai chef" à droite et pour la France à longueur de colonnes, Sarko s'exclame que "Sur l’immigration, ce n’est plus possible". Et il promet de revenir: " Je reviendrai en proposant un Schengen 2, sans les défauts de la zone de libre circulation, plus efficace en termes de lutte contre l’immigration clandestine. Vous verrez, quand je proposerai ça, Marine Le Pen dégonflera instantanément."
Patrick Buisson a peut-être été viré. Nicolas Sarkozy suit toujours la consigne d'une extrême-droitisation de son discours. Vous êtes prévenus.
Sarkozy sort de son silence car il a la trouille d'être dépassé. Qu'importe l'Europe ! L'étau se resserre sur l'actuelle direction de l'UMP: l'affaire Bygmalion a pris une nouvelle tournure quand Libération a révélé l'organisation de conférences fantômes mais chèrement facturées au parti par cette agence dirigée par deux proches de Jean-François Copé. Les amis de François Fillon attendent la fin du scrutin pour obtenir la tête du député de Meaux. Cette semaine, on apprenait que deux juges s'intéressaient aussi à des soupçons de détournements de fond par le groupe UMP au Sénat. Bref, l'UMP ne doit son salut qu'à 'impopularité de François Hollande, et Sarkozy ne pouvait laisser les prétendants à 2017 s'agiter sans réagir. Valeurs Actuelles applaudit au retour du Bonaparte de pacotille qui rassemblera une droite éclatée.
La Sarkofrance est pourtant toujours malodorante. Isabelle Balkany, première adjointe et épouse du député-maire Patrick Balkany de Levallois, grande amie de Nicolas ex-Ier, termine 24 heures de garde à vue par une mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Elle échappe à la cellule moyennant le paiement d'une caution de ... un million d'euros. Les Balkany ont des moyens.
Sarkozy contre Hollande, la construction européenne démentie par l'abstention, la fascisation d'une frange grandissante de notre classe politique, jusqu'où résisterons-nous ?
Crédit illustration: DoZone Parody