Si je devais résumer les Mille Miglia en quelques mots, je dirais que c’est la célébration ultime de l’automobile. C’est aussi l’Italie dans toute sa splendeur, une aventure humaine extraordinaire où plusieurs générations se réunissent le long des routes pour se laisser bercer par ces anciennes gloires de sports mécaniques. Les Mille Miglia, c’est un mélange des époques, un événement unique au monde, bref, comme beaucoup s’accordent à le dire, c’est tout simplement la plus belle course au monde.
À l’origine, l’idée émane de deux jeunes comtes originaires de Brescia, petite ville située à une heure de route de Milan, dont les habitants seraient tombés dans la marmite du sport automobile quand ils étaient petits. Après avoir perdu le Grand Prix d’Italie au profit de Monza, ils décident en 1927 de créer leur propre course grâce au soutien de quelques associés fortunés. Le tracé formera un gigantesque huit entre Brescia et Rome, soit plus de 1 600 km à parcourir en une seule traite. La légende est née.
Très vite, l’épreuve rencontre un succès retentissant, attirant les plus grands noms du sport automobile d’antan, à l’image des illustres Juan Manuel Fangio et Stirling Moss. Malheureusement, suite à un terrible accident causant la mort de neuf spectateurs en 1957, l’épreuve est stoppée net. Suivront trois éditions en demi-teinte entre 1958 et 1961 et ce n’est qu’en 1977 que voit le jour l’épreuve de régularité telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Jour 1
Il est 11h pétante lorsque j’atterris à Milan. Katrin, manager en communication chez Jaguar, m’attend au volant d’une flambant neuve XFR-S. Pas une minute à perdre, nous prenons la direction de Brescia où les préparatifs sont en cours en vue du départ de la course le soir même. Sur la route, Katrin m’informe du déroulement de notre séjour. En compagnie de ses deux collègues, Aldo et Dan, d’un confrère néerlandais et de l’ancien pilote de formule 1 et ambassadeur de la nouvelle F-Type Coupé, Robert Doornbos, nous allons suivre les traces des dix Jaguar engagées par la team Jaguar Heritage Racing tout au long de la course. Pour ce faire, seront mises à notre disposition deux F-Type cabriolets ainsi que la XFR-S dans laquelle nous nous trouvons. Forcément, avec un tel programme, je me dis que j’aurais pu plus mal tomber.
Arrivés à Brescia, l’ambiance est étonnamment calme en périphérie. C’est à se demander où ont bien pu passer les 435 bolides inscrits à l’épreuve. Pas de panique, au fur et à mesure que nous progressons vers le cœur de la ville, les rues prennent rapidement vie et nous ne tardons pas à tomber nez à nez avec quelques chefs-d’œuvre automobiles. Nous sommes bien aux Mille Miglia ! Après nous être garés non sans mal, nous faisons connaissance avec le reste de l’équipe et marchons vers l’hôtel où dînent les célébrités invitées par le constructeur anglais. Jay Leno, Martin Brundle, Bruno Senna, Millow ou encore Brian Johnson y sont réunis dans une ambiance bon enfant, papotant ensemble de l’aventure qui les attend. À peine ai-je le temps de manger qu’on vient me glisser à l’oreille que Millow est disposé à m’accorder une courte interview. Je le rejoins sans plus tarder à l’intérieur de l’hôtel. Très sympathique, il me confie être passionné de voitures des années 50 depuis ses 17 ans. Habitant à l’époque à San Diego, il était tombé amoureux d’une Triumph TR 3 et d’un Volkswagen Bus remis en état par un ami. Appréciant la culture des oldtimers comme art de vivre, il se réjouit de conduire la Jaguar C-Type de 1952, qu’il a d’ailleurs prise en main le matin même. Par ailleurs, il se demande s’il retrouvera l’ambiance effervescente du départ tout au long de son périple. Mon petit doigt me dit qu’il ne sera pas déçu. Réponse dans deux jours où nous le recroiserons sur la route.
L’interview terminée, je pars dans les ruelles de la ville à la découverte des trésors qui y sont exposés. Le temps est au beau fixe et le public au rendez-vous. Il faut se frayer un chemin à travers la foule et prendre des photos devient une vrai tour de contorsionniste. Les bolides rutilants sont tous dans un état frôlant la perfection et les oiseaux rares sont si nombreux qu’une Mercedes 300 SL en deviendrait presque banale. Je me laisse enivrer par l’ambiance et rejoins les autres.
Nous nous dirigeons vers la ligne de départ afin d’y encourager la team Jaguar Heritage. Un peu perdus dans tout ce remue ménage, c’est finalement par hasard que nous les voyons passer sous notre nez. Nous retournons sans plus attendre à nos montures pour nous mettre en route. Après quelques tentatives hasardeuses de quitter Brescia, nous nous ruons sur l’autostrada pour rejoindre le plus rapidement possible les premières villes de passage. Nous sortons peu après Sirmione et nous glissons pour la première fois parmi les engagés, l’ensemble de l’épreuve se déroulant sur routes ouvertes. Notre folle épopée débute tandis que nous longeons les premiers groupes de spectateurs répartis le long de la chaussée. Grâce à son échappement sport particulièrement expressif, notre F-Type a beaucoup de succès si bien qu’au moindre arrêt, des encouragements nous parviennent de part et d’autre, incitant Aldo à mettre plein gaz à la moindre occasion.
Nous filons à toute allure derrière Robert Doornbos, qui dépasse à tout va et nous gratifie de quelques figures acrobatiques au passage. Derrière nous, une Lotus Exige nous colle au train tandis que les policiers nous laissent passer aux feux rouges, faisant totalement abstraction du code de la route ! Après des kilomètres menés tambour battant, nous arrivons à Vérone. La foule y est décuplée, délimitant notre parcours le long des routes pavées du centre-ville. À la tombée de la nuit, l’immersion est totale, l’ambiance indescriptible. C’est la magie des Mille Miglia !
Jour 2
Aujourd’hui, nous allons apparemment beaucoup rouler, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dans un premier temps, il sera question de suivre la course jusque Ferrara puis Saint-Marin, avant de bifurquer en direction de Florence par les petites routes escarpées de Toscane. Je me mets un instant dans la peau des concurrents et me dis que leur journée sera sans fin. Devant rejoindre Rome, plus de 15 heures de route les attend. Un exercice certes envisageable en Jaguar C-Type, mais n’oublions pas que certains évoluent dans de véritables micromachines, comme cette Isetta que j’aie aperçue la veille à Brescia. Comme quoi, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Mais revenons à nos moutons.
En cette matinée, on ne peut pas dire que le paysage soit à couper le souffle. Le parcours se limite à d’interminables lignes droites tandis que de nombreux poids lourds ralentissent la circulation. Quant aux concurrents, nous n’en apercevons que quelques-uns. La foule s’est également dispersée, seuls quelques irréductibles étant confortablement installés sur le pas de leur porte. Pas de quoi nous émouvoir, nous fonçons à travers la circulation, usant et abusant de la puissance de nos fidèles destriers. Equipée du V6 de 340ch, notre F-Type constitue une entrée de gamme pour le moins alléchante, surtout à un prix d’attaque de 75 900€, là où la moins onéreuse des Porsche 911 découvrables se négocie à 106 117 €. Bénéficiant d’une large plage d’utilisation, le bloc monte allègrement dans les tours, gratifiant ses passagers d’une sonorité jouissive à chaque coup d’accélérateur. En actionnant les palettes au volant, les changements de rapports sont parfaitement exécutés par la boîte ZF à convertisseur de couple, plus douce qu’une unité à double embrayage. En automatique, l’ensemble reste satisfaisant malgré de petits moments d’égarement.
Même dans sa configuration la plus dure, la suspension reste suffisamment confortable tandis que le filet anti-remous nous protège bien du vent, du moins tant que la vitesse adoptée reste dans un cadre légal. Seul petit bémol, l’amortissement perd de son efficacité sur revêtement dégradé, déstabilisant quelque peu la caisse. Peut mieux faire.
À l’intérieur, la finition est de bonne facture malgré quelques fautes de goût, à l’image des palettes au volant en plastique. Quant au système de navigation, lent et peu intuitif, il date définitivement d’une autre époque.
Il est presque 14h lorsque nous nous arrêtons pour manger dans un ravissant village à quelques kilomètres de Saint-Marin. Nous y dégustons de délicieux raviolis à la sauce bolognaise avant de reprendre la route.
A Forli, nous empruntons la SS67 en direction de Florence. Alors que nous entrons dans l’arrière campagne, le décor change radicalement. Très vallonné, il nous offre des paysages somptueux et une route serpentée à souhait. Après qu’un autochtone nous ait tenu la dragée haute à bord de sa modeste camionnette poussée dans ses derniers retranchements, nous atteignons le sommet du célèbre col du Muraglione où nous attend Frederico à bord de la toute nouvelle F-Type Coupé V6S. Membre de l’équipe Jaguar italienne, il tenait à cœur de nous faire découvrir cette magnifique région.
Nous repartons de plus belle. Frederico connait les routes comme sa poche et impose un rythme infernal. Dans son sillage, notre F-Type fait preuve d’une belle agilité, acceptant de plonger du nez d’une épingle à l’autre sans sourciller. L’équilibre général est excellent, rendant le comportement très sain à la limite. L’arrière décroche avec progressivité et se laisse parfaitement contrecarrer par de légères corrections au volant. Pour les amateurs de glisse, la F-Type accepte volontiers de se déhancher, l’esp étant totalement déconnectable. Cependant, dépourvu de différentiel à glissement limité, notre modèle n’est pas le plus adapté pour l’exercice.
La direction électrique s’avère pour sa part directe et précise, offrant une consistance honnête, quoiqu’un peu trop artificielle à mon goût. On ressent bien les aspérités de la route, mais il faut deviner la limite d’adhérence du train avant, qui au passage, ne souffre quasiment pas de souvirage. Quant au freinage, il montre quelques signes de faiblesse en usage intensif, mais pas de quoi s’alarmer. Grâce à une structure entièrement en aluminium, la rigidité est exemplaire pour un cabriolet. Cependant, il lui manque ce dernier grain de folie et de précision pour en faire une arme à toute épreuve. Plus rigide de 80 %, le coupé corrige certainement ce petit défaut. Quoi qu’il en soit, malgré un poids non négligeable de 1 597 kg, notre modèle d’essai fait preuve d’une volonté exemplaire. 95 % du temps, ses capacités dynamiques sont largement suffisantes, et c’est bien ça qu’il faut retenir. Pour couronner le tout, notre consommation moyenne s’établit à 13,5/100 km, ce qui est tout à fait raisonnable compte tenu des circonstances. Indéniablement, Jaguar a fait fort.
Arrivés à l’hôtel en fin de soirée, nous en profitons pour échanger nos impressions autour d’un bon repas. Dan, qui nous suivait en XFR-S, avoue avoir lâché prise dans la descente du col, après s’être fait une frayeur en essayant de stopper les deux tonnes du colosse en vue d’une épingle. Il faut dire que la bête est plus taillée pour l’Autobahn que pour les petites routes de campagne… affaire à suivre.
Jour 3
Nous avons rendez-vous à 10h30 avec Frederico et son équipe à la gare de Florence. Avant de les rejoindre, un petit car-wash s’impose, histoire que le rouge de notre F-Type soit à nouveau resplendissant. Nous arrivons pile à l’heure à destination, où une armada de F-Type coupé nous attend. À vue d’œil, il y en a au moins une dizaine qui sont garées en file indienne, captant toute l’attention des passants. Il faut dire que le coupé est encore plus réussi que le cabriolet. Avec ses lignes tendues et son élégance à faire tomber à la renverse n’importe qu’elle Italienne sur son passage, il est le digne héritier de l’illustre Type E, icône du constructeur au félin dans les années 60.
C’est dans un convoi royal que nous quittons la cité des Médicis en direction de la région de Sienne, où un petit restaurant authentique nous ouvre ses portes au bord de la course. Alors que nous dégustons de délicieux petits plats locaux, la redoutable Jaguar D-Type, victorieuse des 24 Heures du Mans de 1955 à 1957, surgit dans un coup de vent, menée de mains de maîtres par Bruno Senna et Martin Brundle. À mon avis, ils ne doivent pas connaître le principe d’un rallye de régularité ! Arrivent plus tard le duo Millow-Bernard Kuhnt aux commandes de leur C-Type ainsi qu’un certain Jacky Ickx à bord d’une Porsche 550 Spyder RS, dans un style plus coulé.
C’est l’agitation générale, nous devons retourner au plus vite à l’hôtel, où Bernard Kuhnt et Millow feront une petite halte avant de reprendre leur chemin. Aussitôt dit, aussitôt fait, nous voilà repartis sur l’autostrada dans un vacarme retentissant, laissant l’équipe italienne derrière nous. Nos deux cabriolets tracent leur route sans frémir, se moquant des éventuels radars grâce à leur immatriculation allemande. De retour à l’hôtel, fausse alerte. Les premiers concurrents ne passeront que dans deux heures tout au mieux, l’arrivée de la Jaguar C-Type n’est donc pas pour tout de suite. Dommage, je serais bien resté un peu plus longtemps où nous observions la course.
Après une sieste bien méritée, je rejoins Katrin et les autres dans la cour de l’hôtel. Tout le monde s’active et prépare l’arrivée de nos guests star. Petits fours, champagne, déco par-ci par-là, rien n’est laissé au hasard. Les premiers bolides ne tardent pas à défiler devant l’hôtel. Je m’installe confortablement et admire le spectacle. Bugatti T37, Alfa Romeo 6C, BMW 328, Porsche 356, Ferrari 250 GT, ce sont de véritables œuvres d’art qui paradent sous nos yeux.
Quelques minutes plus tard, ça y est, Bernard Kuhnt et Millow s’arrêtent enfin à notre hauteur. Visiblement ravis de leur épopée, ils se hissent hors de leur bolide pour se joindre à nous. Je parviens à échanger quelques mots avec Millow, qui me fait part de son enthousiasme pour la course. «C’est vraiment magnifique. Et alors la moyenne de 43 km/h à respecter, on dirait que ce n’est pas grand-chose, mais crois-moi, parfois, c’est comme au Gumball ! Et puis dans les villes, il y a des centaines de gens qui t’encouragent, c’est super motivant. Incroyable, vraiment. ». Quelques minutes plus tard, ils reprennent déjà la route. Sous le feu des projecteurs, la C-Type s’éveille avant de s’évader rapidement à l’horizon.
Jour 4
Dernière matinée de notre périple italien. Au petit déjeuner, Dan me tend les clés de la XFR-S, m’invitant faire un petit essai sur le col de Futa, à deux pas de notre hôtel. Je ne me fais pas prier et m’installe à bord du vaisseau amiral. Armé d’un V8 5 l suralimenté de 550 ch pour 680 Nm, on ne peut pas dire qu’il manque de souffle, et malgré son gabarit de pachyderme, son agilité est étonnante. Il avale les lignes droites avec autorité et enchaîne sans rechigner les virages serrés. Seulement voilà, au volant, l’excitation n’est pas au rendez-vous. Le bruit parait étonnamment silencieux après avoir parcouru près de 800 km en F-Type. La sensation de vitesse n’est tout simplement pas comparable, je décide donc de rentrer à l’hôtel pour reprendre le volant de sa petite sœur, bien plus amusante à mon goût.
Dès les premiers mètres, je ne regrette pas mon choix. Sur ces fabuleux virolos, je pousse la bête une ultime fois dans ses derniers retranchements. Le V6 hurle jusque 7 000 trs/min, les rapports claquant les uns après les autres dans un style théâtral. Arrivé au sommet, je ralentis le rythme et active le mode de conduite le plus souple. La voiture range sa tenue de combat aux vestiaires et revêt sa cape de paisible routière, le grondement du V6 se métamorphosant en un doux feulement. Comme quoi, cet engin sait aussi se montrer civilisé.
Quelques heures plus tard, notre périple touche déjà à sa fin à l’aéroport de Milan. Durant ces quatre jours, nous avons découvert une course unique au monde. Nous avons parcouru les plus belles routes d’Italie et nous nous sommes laissé envoûter par le timbre exceptionnel de cette sportive très attachante qu’est la F-Type. Vivre les Mille Miglia, c’est une expérience hors du commun, ouverte à tous, que je ne peux que recommander à tout aficionado de l’automobile. Si vous avez un jour l’occasion d’y aller, ne fut-ce qu’en simple spectateur, n’hésitez surtout pas. Car s’il y a bien une course à vivre au moins une fois dans sa vie, ce sont les Mille Miglia !
Adrian Jehin pour E-TV
Crédits photos : Adrian Jehin
Retouches photos : Nathan Fougnies