Dans les forêts de Sibérie est un essai de l'écrivain et voyageur Sylvain Tesson paru en 2011 chez Gallimard et couronné du Prix Médicis la même année.
Six mois seul dans une isba au bord du lac Baïkal. Coupé du monde, seul face à lui-même et dans l'immensité sibérienne. Voilà le défi que s'est lancé Sylvain Tesson en 2010. Pour regarder la vie différemment. Pour réapprendre la simplicité et se réapproprier la notion de liberté. Dans les forêts de Sibérie est son journal de bord.
Éloge de la lenteur et de la contemplation, cet essai est à la fois une expérience humaine intense et une lecture fascinante. Le choix de Sylvain Tesson de se retirer du monde pour mieux l'analyser est sage, certes, mais sa manière de le faire dénote d'une force de caractère inouïe qui frôle parfois l'inconscience.
De cette quête tournée vers soi et vers le monde naît une réflexion des plus intéressantes. Sylvain Tesson s'interroge. Sur le monde, certes, mais aussi sur la notion de liberté, de bonheur, de temps. Et le lecteur, au fil des pages, entre dans la solitude de l'auteur pour mieux la contempler, à ses côtés. Chaque jour amène son lot de nouveautés, de réflexion. De doutes, aussi. Surtout. Car Sylvain Tesson entreprend un réel travail introspectif qui remet tout en cause. Quitte à y perdre beaucoup. Comme l'amour de la femme qu'il aime. Et c'est tout en pudeur qu'il évoque ces moments-là, sans jamais se départir de son projet fou. C'est émouvant, extrême aussi - à la hauteur du nombre incalculable de litres de vodka qu'il ingurgite ! - et pourtant, chaque phrase suinte une authenticité remarquable. Pour ce voyageur intrépide, la solitude et l'inaction sont contre-nature. Mais c'est dans cette expérience qu'il parvient à trouver une certaine forme de sérénité.
Je me suis glissée dans l'isba, doucement, à ses côtés. J'ai regardé la neige tomber avec lui. Tremblé quand un ours s'approchait de la cabane. Souffert par empathie des longues marches dans la neige pour atteindre la première habitation. Patienté dans ce temps qui s'étire et cette lenteur qui prend le pas sur tout. Été émue, enfin, par tant de beauté.
Conquise, c'est certain. Emphatique, je pourrais l'être, sans fin, sur cet essai très poétique. Mais je préfère vous livrer un florilège de citations qui m'ont chamboulée au fil des pages. Comme si j'avais, le temps de cette lecture, remis moi aussi le temps et la solitude à leur juste place.
"J'ai connu l'hiver et le printemps, le bonheur, le désespoir et, finalement, la paix." (p.9)
"Se lever de son lit demande une énergie formidable. Surtout pour changer de vie. Cette envie de faire demi-tour lorsqu'on est au bord de saisir ce que l'on désire. Certains hommes font volte-face au moment crucial. J'ai peur d'appartenir à cette espèce." (p.23)
"J'admire les gens mutiques, je m'imagine leurs pensées." (p.23)
"Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide." (p.32)
"Il suffisait de demander à l'immobilité ce que le voyage ne m'apportait plus : la paix." (p.41)
"Un jour, on est las de parler de "décroissance" et d'amour de la nature. L'envie nous prend d'aligner nos actes et nos idées. Il est temps de quitter la ville et de tirer sur les discours le rideau des forêts." (p. 43)
"Marcher sur la neige, c'est ne pas supporter la virginité du monde." (p.45)
"La cabane est un laboratoire. Une paillasse où précipiter ses désirs de liberté, de silence et de solitude. Un champ expérimental où s'inventer une vie ralentie." (p.49)
"Au réveil, mes journées se dressent, vierges, désireuses, offertes en pages blanches. Et j'en ai par dizaines en réserve dans mon magasin. Chaque seconde d'entre elles m'appartient. Je suis libre d'en disposer comme je l'entends, d'en faire des chapitres de lumière, de sommeil ou de mélancolie. Personne ne peut altérer le cours de pareille existence. Ces jours sont des êtres d'argile à modeler. Je suis le maître d'une ménagerie abstraite." (p.51)
"Une fois ankylosé dans la graisse du conformisme et enkysté dans le saindoux du confort, on est mûr pour l'appel de la forêt." (p.159)
"Penser qu'il faudrait le prendre en photo est le meilleur moyen de tuer l'intensité d'un moment." (p.194)
"Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane où quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre." (p.288)
"Ici, j'ai demandé au génie d'un lieu de faire la paix avec le temps." (p.289)