Des scientifiques du laboratoire Magmas et Volcans (CNRS/IRD/Université Blaise Pascal) et de l’ESRF1 ont recréé les conditions extrêmes qui existent dans la Terre profonde afin d’étudier la fusion des basaltes océaniques. Ils ont soumis quelques échantillons microscopiques de roches à des pressions et températures extrêmes et ont observé leurs structures à l’aide du faisceau de rayons X extrêmement brillant de l’ESRF. Les résultats montrent que les basaltes ont une température de fusion plus faible que le manteau terrestre formé de péridotite. Lorsque ces basaltes entrent en fusion à proximité de la frontière noyau-manteau des liquides très riches en silice sont émis. De ce fait, les basaltes réagissent rapidement avec le manteau et se dissolvent dans les profondeurs de la Terre. Ces expériences apportent une explication nouvelle aux anomalies sismologiques observées à la base du manteau et permettent d’estimer sa température à environ 4000 Kelvins. Ces résultats sont publiés le 23 mai 2014 dans Science.
La Terre est une planète active. La chaleur qu’elle renferme encore en son sein provoque des mouvements de convection responsables de la tectonique des plaques. Cette énergie provient de la chaleur accumulée pendant l’accrétion planétaire, mais aussi de la chaleur latente de cristallisation de la graine, au centre de la Terre, ainsi que de la désintégration radioactive. Pourtant, les températures à l’intérieur de la Terre sont mal connues.
Grâce aux mouvements de convection, du matériel chaud remonte vers la croute et du matériel froid plonge vers les profondeurs de la Terre. Ainsi lorsque le manteau ascendant s'approche de la surface, il commence à fondre à l’aplomb des dorsales océaniques. Du basalte s’épanche alors et forme le fond des océans, ce qu’on appelle la croûte océanique. Le devenir de cette croûte et de la lithosphère océanique qui la supporte est de retourner dans le manteau à la faveur de la subduction. C’est pour cela que l’on trouve à la surface de la Terre des continents vieux de plusieurs milliards d’années alors que la croûte océanique la plus ancienne n’a que 165 millions d’années.
La température à proximité de la frontière noyau-manteau, dans une région nommée D” et située de 2600 à 2900 km de profondeur, s'élève très rapidement. Probablement de 1000 degrés sur quelques centaines de kilomètres, ce qui est considérable par rapport au gradient de température observé dans le reste du manteau. Des auteurs ont suggéré que cette élévation de température pouvait provoquer la fusion partielle du manteau terrestre. Mais cela explique mal certaines observations géophysiques. En particulier, le fait que les anomalies de vitesses de propagation des ondes sismiques soient très localisées géographiquement et que leur amplitude corresponde mal au manteau partiellement fondu. D'autre part, les observations montrent clairement l'absence de poche de liquide dans cette région. Or si le manteau entre en fusion, des veines de liquide devraient se former et se réunir pour créer des poches.
Les mesure faites par le Professeur Denis Andrault du laboratoire Magmas et Volcans et son équipe, dans des conditions simulant la profondeur de la limite manteau-noyau, indiquent une température de fusion du basalte plus faible que celle du manteau terrestre. Les anomalies sismiques pourraient donc provenir de la fusion de morceaux de plaques océaniques basaltiques subduites jusqu'à ces profondeurs, au hasard des mouvements de convection dans le manteau profond. Cela confirmerait des hypothèses sur le devenir de certaines plaques qui atteignent les plus grandes profondeurs et la fusion des basaltes expliquerait bien le caractère irrégulier dans la localisation des anomalies sismiques. La descente des plaques jusqu'à proximité de la frontière noyau-manteau est également bien compatible avec les données préexistantes.
Les auteurs ont aussi montré que la fusion des basaltes génère des liquides très riches en silice (SiO2). Le manteau étant lui-même saturé en oxyde de magnésium (MgO), la rencontre de ces liquides avec le manteau produirait une réaction rapide entrainant la formation d’une phase solide appelée pérovskite (MgSiO3). Ce minéral est un composant majeur du manteau. Ceci expliquerait pourquoi aucune poche de liquide n'est détectée par la sismologie dans le manteau très profond : la formation de veines de liquide serait rapidement suivie par leur solidification.
Si c'est bien le basalte, et non le manteau, qui fond dans la région D" et provoque ces anomalies sismiques, la température à l'interface entre le noyau et le manteau serait alors comprise entre 3800 et 4150 kelvins, supérieure à la température de fusion du basalte et inférieure à celle du manteau. Si l'hypothèse est juste, ce serait la détermination la plus précise de la température à l’interface noyau-manteau disponible aujourd'hui.
(1) European Synchrotron Radiation Facilityhttp://www.insu.cnrs.fr/node/4861Contacts chercheurs :
Denis Andrault, Laboratoire Magmas et Volcans (CNRS/IRD/Université Blaise Pascal)
T 04 73 34 67 81
d.andrault@opgc.univ-bpclermont.fr
Mohamed Mezouar, ESRF
T 04 76 88 25 15
mezouar@esrf.frSource(s): Melting of subducted basalt at the core-mantle boundary, D. Andrault, G. Pesce, M.A. Bouhifd, N. Bolfan-Casanova, J.M. Hénot, M. Mezouar, Science, 23 mai 2014.
DOI: 10.1126/science.1250466