Comme d'habitude, il s'en est trouvé pour le créer immédiatement, cet article d'actualité. Et comme d'habitude, celui-ci a eu droit à une PàS immédiate. Comme d'habitude, la mise en PàS a été critiquée par certains parce que jugée trop rapide. Et comme d'habitude, "certains" ont feint d'oublier qu'il n'y a jamais de conséquence sans cause. Comme d'habitude, inclusionistes et suppressionistes se sont écharpés. Et comme d'habitude, les premiers ont, un peu plus que les seconds, expliqué que Wikipédia, c'est eux et pas l'Autre.
Cet article, vous l'aurez deviné ami lecteur, c'est celui consacré à la photojournaliste tragiquement décédée la semaine dernière, Camille Lepage. Mais il y a eu un peu plus que d'habitude, cette fois-ci : c'est l'intervention d'une petite partie de la presse qui, sans doute en mal de sujets et même de marronniers (qu'ils aillent donc faire un tour sur notre Bistro), s'est emparée de l'affaire, y voyant une "polémique". Autrement dit, et le parti-pris est évident, envisager simplement la suppression de la page tiendrait du scandale potentiel. Ou de la froideur d'une orange mécanique. C'est au choix. Bon, il faudrait, je le concède, relativiser la portée de cette indignation face au "scandale" : seuls le journal Ouest France et France 3 Pays de la Loire se sont en réalité penchés sur la PàS. Et il semble peu probable que Le Canard enchaîné ou Mediapart la relaient un jour ou l'autre ...
Par contre, il y a encore une autre habitude qui s'est hélas confirmée : c'est celle de l'indigence de nos scribouillards nationaux (les exceptions sont rares) dès qu'il leur prend l'envie de parler de Wikipédia. J'ai déjà maintes fois évoqué le sujet de manière théorique, il est donc inutile d'y revenir. Je me contenterai, pour ce cas précis, de deux observations :
- La première, un grand classique (encore vu récemment dans l'ouvrage critique de Daniel Ichbiah), est la propension du journaliste à voir des administrateurs partout. Une erreur très révélatrice de l'incompréhension persistante, pour le quidam, du principe de contribution égalitaire et collective qui préside à Wikipédia. Figé dans un schéma traditionnel de pensée, aussi bien en ce qui concerne la conception théorique d'une encyclopédie que le fonctionnement classique d'un site web, le journaliste va spontanément et inconsciemment (sans chercher à vérifier, ce qui est un peu gênant dans la profession) considérer qu'un participant enregistré au projet est forcément plus haut dans la hiérarchie. Et aboutir au paradigme : contributeur avec un pseudonyme et connaissant les arcanes de Wikipédia = administrateur. D'office.
- La seconde remarque porte sur les accusations (voilées ou non) d'indécence, et même de "cruauté", portées à l'encontre de Wikipédia pour cette procédure de suppression. Bon, à la décharge des intéressés, certains contributeurs se sont aussi laissés aller à de telles considérations dans l'expression de leur avis ... Mais, là encore, l'essence d'une telle critique témoigne d'une grande incompréhension de ce qu'est le projet. Il suffit de rappeler ce qui est fondamental, et en une phrase : Wikipédia est un projet d'encyclopédie neutre. Ce qui veut dire qu'elle se rédige (froidement) sur la base de sources (devant avoir une qualité suffisante) et en fonction de critères permettant de garantir ce qui est encyclopédique ou non. Sa neutralité l'oblige à n'avoir aucun affect : les émotions n'ont pas à entrer en ligne de compte.
De toute façon, l'indécence est justement une question de point de vue. Camille Lepage, je vous parie toute ma fortune, n'aurait toujours pas d'article si elle n'était pas tragiquement décédée. Et elle serait toujours inconnue du grand public, aussi. N'y a-t-il pas, en premier lieu, une certaine forme d'indécence à ne louer cette femme et la qualité de son travail, et plus simplement à ne parler d'elle, qu'aujourd'hui ? C'est juste une question comme ça ...