Pour beaucoup aujourd’hui, la carrière se gère comme un « produit de consommation ». Le candidat établit ses critères d’évaluation et compare les offres des entreprises. Quelles sont les entreprises qui offrent les meilleures opportunités à l’étranger ? Quelle est la réputation d’une entreprise, de son « top management » sur son marché ? Quelles sont les entreprises particulièrement actives en matière de formation et de mobilité interne.
Anciens collaborateurs, anciens stagiaires, anciens camarades d’école, mais aussi sites de notation, blogs personnels et palmarès des meilleures entreprises, le candidat est habitué à multiplier les sources d’informations afin de se faire une idée sur la réputation de l’entreprise. Sa grille de lecture suit une logique simple : face à un marché de l’emploi incertain, comment optimiser sa valeur sur ce marché ? Comment faire pour que chaque entreprise apporte au plus vite une contribution à son employabilité ? L’employabilité est sensée amortir les aléas de la vie professionnelle, faire en sorte que le rapport de force soit au bénéfice du candidat. Il n’hésite pas à « claquer la porte », dès lors que l’entreprise l’a déçu ou qu’il a le sentiment que les termes et les conditions du contrat « moral » ne lui sont plus favorables.
Le candidat aussi est devenu un « produit de consommation ». En effet, comme tout comme l’entreprise, il veille à optimiser sa réputation, à travailler son image, à maximiser son employabilité. On parle alors de « personal branding », autant de termes issus du marketing, non ? Ce comportement a d’abord été la caractéristique des profils rares sur un marché tendu ou pour les « hauts potentiels », qui font souvent l’objet de toutes les attentions en matière de gestion de carrière et qui sont tant convoités par les entreprises. Il touche aujourd’hui, de plus en plus, l’ensemble des salariés et, en particulier, les plus jeunes, de plus en plus « connectés » et adeptes des pratiques numériques. Ils affichent une relation détachée avec l’entreprise et n’ont pas le même rapport avec la valeur travail que pouvaient avoir leurs parents. Ils sont moins frileux pour tenter l’aventure ailleurs, plus souvent.
L’évolution de carrière, aujourd’hui, se manifeste de différentes façons, plus uniquement hiérarchiquement, mais aussi transversalement. La fidélité a une toute autre signification. Ou tout au moins cette notion a évolué tant dans la forme que sur le fond. Elle ne s’exprime pas de la même façon selon les périodes de vie, les styles de vie, la nature même de l’emploi et la vision d’évolution du « job ». D’ailleurs, les entreprises ont depuis bien longtemps, abandonné toute promesse de l’emploi à vie. Qu’il soit jeune diplômé ou expérimenté, il est convaincu que son recrutement, au sein d’une organisation ne sera qu’une étape dans sa vie professionnelle, qui en comptera plusieurs. Dans cette relation « temporaire » avec l’entreprise, il convient de rester en veille active sur son marché, pour connaître à tout moment sa propre valeur ou identifier les opportunités potentielles.
Par ricochet, dans les process de recrutement, le comportement du candidat a aussi évolué. Il est un « client » exigeant qui réclame une relation privilégiée avec l’entreprise qu’il convoite ou qui le convoite. Il veut de la considération, mais il est aussi infidèle, volatile.
RH Cloud >> Marie-Laure Collet, avez-vous senti ces changements de comportements dans les process de recrutement que vous suivez ?
Bien évidemment, les comportements ont évolué au fil des années mais davantage par rapport à des attitudes recruteurs qui ne cessent de dénaturer la relation humaine. En effet, les outils, portés par l’innovation, ont enrichi les techniques d’approche et de sourcing des consultants. L’e-mail, facile à envoyer en nombre, a multiplié les contacts avec les candidats qu’ils soient en veille ou non par rapport au marché de l’emploi. Toutefois, la facilité et la multitude des informations adressées a un effet pervers puisque le candidat se sent très sollicité face à des propositions très « marketées ». Même s’il est toujours délicat de faire des généralités, il est évident que l’appréciation des candidats face aux intermédiaires du recrutement a, de ce fait, changé. Auparavant il y avait un respect réciproque du fait de la rareté des contacts et l’engagement mutuel et tripartite candidat-consultant-drh. Aujourd’hui, la sollicitation incessante « désacralise » le contact initial du recrutement et les candidats s’engagent dans de multiples process, allant parfois trop souvent jusqu’à jouer des propositions faites voire ne pas honorer les engagements pourtant affirmés en entretien.
Or, un process de recrutement dans lequel le candidat s’engage est une phase d’observation primordiale dans l’attitude comportementale tant pour le consultant que pour l’entreprise qui le missionne. Cette phase donne beaucoup d’éléments ; aussi, une attitude désinvolte ne passe jamais inaperçue. Les candidats l’oublient trop souvent. Pourtant, ils sont les premiers à critiquer, à juste titre, ce type de comportement chez les consultants qui ne prennent pas soin des process, des suivis des dossiers. Typiquement, le consultant qui s’entretient avec le candidat et qui n’assure pas une communication régulière et précise, déçoit et même fruste celui qui est toujours conscient qu’il est en concurrence et qu’il peut donc ne pas être choisi. C’est toujours la dissociation indispensable à faire entre le fond et la forme !
Vous le voyez à travers mes propos les outils ont un impact direct sur le comportement… malheureusement… mais un bon consultant, qui travaille sur une matière si instable qu’est l’humain, ne doit jamais négliger les process même si notre nature première est d’aller vers la facilité qui est offerte grâce à certains outils ! Ainsi, qu’on le veuille ou non, la qualité de la prestation passe par la pertinence du conseil, la bonne conduite des entretiens, la qualité du suivi candidat et client. Même les outils les plus technologiques, les plus facilitants, les plus innovants ne se substitueront jamais à la relation humaine ni à la valeur ajoutée du conseil, trop souvent occultées par des intermédiaires du recrutement peu scrupuleux et qui ont un impact indéniable sur le comportement des candidats. C’est donc un peu, si vous me le permettez, le syndrome de l’arroseur arrosé qui guette notre profession. Qu’on se le dise !