Une histoire de chair (beaucoup de chair) et de sang, celle d’un couple criminel : chacun est marié de son côté mais se retrouve tels qu’à 16 ans, ils n’avaient pas osé exprimer leur attirance. Lui était parti réussir dans une autre ville, elle avait épousé le fils de la pharmacienne du village, riche et malade. Et puis, lui revenu au pays avec sa femme et sa fille, elle se jette dans ses bras. Leur liaison est torride, ils se retrouvent chaque jeudi à l’hôtel de la Gare, dans cette chambre bleue où selon la femme de chambre, après leur passage « il y a pas mal de travail ».
Esther attend que son mari trépasse. Quand il a l’élégance de le faire, elle met en demeure Julien de se libérer aussi. Et bientôt, son épouse Delphine, meurt à son tour empoisonnée. Qui a bien pu injecter de la strychnine dans les pots de confitures ? Qui, sinon Esther qui est pharmacienne. Mais le crime peut aussi bien émaner de la belle-mère, pharmacienne elle aussi, qui saurait qui a hâté la mort de son fils. Mais nul n’en a cure. Le piège judiciaire se referme avec violence sur les deux amants. La société sait se défendre. Mais la vérité est-elle aussi claire ?
Mathieu Amalric est devant et derrière la caméra. Il a fidèlement adapté le roman de Georges Simenon, écrit en 1963 et intitulé « Les amants frénétiques ». L’action se passe près des Sables d’Olonne – où Simenon s’était réfugié pendant et après la guerre – mais de nos jours. Et là, malgré le soin que prend le metteur en scène pour se conformer au rituel judiciaire, on subit quelques anachronismes : on pratique aujourd'hui des investigations scientifiques plus poussées (recherche d’ADN, d'empreintes), des condamnés en assises peuvent faire appel, ce qui n’étaient pas le cas en 1963. Dans une affaire de ce genre, aussi médiatisée, les prévenus recevraient le concours d’un ténor du Barreau et non d’un avocat commis d’office. On verrait Maître Dupont-Moretti mettre en route sa « concasseuse ». Dans le roman, il y a aussi une dimension sociale : Esther n'est pas pharmacienne mais épicière ...
Cependant, c’est un film bien construit, où les acteurs sont mis en valeur – sublime Stéphanie Cléau aussi douce que déterminée, dérangeante Léa Drucker, qui se rend compte de tout dès le départ de l'adultère de son mari, et souffre en silence, stupide juge Diem (Laurent Poitrenaud) … - où le malaise est perceptible dès les premières scènes de sexe et jusqu'au Tribunal …
Le thème de la liaison fatale, éternel, méphitique, dévastateur, est un classique de la littérature, mis en scène ici avec talent et économie de moyens. Mathieu Amalric-Julien Gahyde est le symbole de l’homme imprudent, dépassé par sa passion, finalement attendrissant. Il n'a rien vu venir, tout à cette relation physique exceptionnelle. Quand il mesure comment il a été manipulé et l’étendue du désastre, il accepte passivement son destin. Mais cela valait-il la peine ?